(Billet 1137) – Bachir Rachdi parti, la corruption peut respirer...

Bachir Rachdi n’est plus le président de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC). De tous les chefs d’institutions constitutionnelles, ou de gouvernance, ou les deux, qui ont quitté leurs fonctions dernièrement, le cas de Bachir Rachdi est le plus intéressant, et aussi celui qui devrait être le plus scruté… Pourquoi ? Parce qu’en matière de corruption, au sens large, le gouvernement actuel détourne les yeux, et qu’en matière de perception de cette même corruption, la société les écarquille.
La corruption, selon la Banque mondiale, consiste en « le fait d’utiliser sa position de responsable d’un service public à son bénéfice personnel ». Cela inclut la corruption au sens classique, voire vulgaire, mais aussi l’enrichissement illicite, qui prend plusieurs formes, le conflit d’intérêt, qui déjoue toutes les normes etc… Alors, rappelons les faits : le Maroc est classé 99ème pays sur 180 par Transparency, son plus mauvais score depuis 2012, et le gouvernement a réduit le budget de l’INPPLC de 270 millions de DH à 210 millions, la corruption se classe parmi les principales préoccupations pour les résidents, les Marocains expatriés et les entreprises interrogées, la Commision nationale de lutte contre la corruption n’a pas été réunie par M. Akhannouch depuis 3 ans (il est là depuis 3 ans et demi), la stratégie de 2015 (239 mesures, 1,8 miliard de dirhams), et Transparency a gelé sa participation à l’INPC…
Bachir Rachdi est un homme unanimement respecté pour son éthique et la grosse intégrité qu’il a toujours promenée avec lui tout au long de sa carrière. Ce n’est donc pas un hasard qu’il fut secrétaire général de Transparency Maroc, pas plus qu’il n’est fortuit qu’il présida la Commission d’éthique et de bonne gouvernance à la CGEM ; et cet homme a également été désigné par deux fois par le roi Mohammed VI, d’abord en qualité de membre du CESE, ensuite à la présidence de l’INPPLC. C’est au terme de ce parcours très riche en moralité et engagement que l’homme a été placé à la tête de l’Instance. Et que pensez-vous qu’il fit, une fois à cette fonction ? Et bien, il fit tout simplement son travail, ou du moins essaya de le faire, en l’occurrence prévenir et lutter contre la corruption, un phénomène de plus en plus irrésistiblement puissant au Maroc. Un phénomène qui nuit à l’image du pays, qui lui coûte beaucoup, qui fait fuir ses enfants désireux de travailler dans un milieu « normal ».
En face de l’INPPLC, nous avons l’organe exécutif communément appelé gouvernement. Composé du RNI, du PAM et de l’Istiqlal, ce gouvernement est, entre ses prédécesseurs, celui qui prête le plus le flanc aux soupçons de corruption, dans son sens large, c’est-à-dire englobant le versement de sommes pour obtenir une chose indue, le conflit d’intérêt, l’enrichissement illicite, le népotisme, le clientélisme, le délit d’initié, spéculation (ils sont 18 pour les denrées alimentaires, le gouvernement les connaît, et ils courent toujours)… Il faut remonter loin, très loin, très très loin dans l’histoire récente du royaume pour (espérer) trouver un pareil gouvernement dégageant autant de soufre et de soupçons de prédation. Et c’est pourtant un Istiqlalien, Abbas el Fassi, qui avait conféré en sa qualité de Premier ministre la qualité d’utilité publique à Transparency Maroc…
Et quand Bachir Rachdi, dont l’entreprise avait eu la joie d’un contrôle fiscal, avait voulu présenter son budget en commission à la Chambre des conseillers, fin novembre dernier, les élus RNI avaient décidé de quitter la salle, leur chef de groupe accusant M. Rachdi de lancer ses accusations de corruption dans tous les sens… Quitter une réunion institutionnelle pendant la présentation de son rapport par un dirigeant d’instance de bonne gouvernance citée deux fois dans la constitution, voilà qui dénote d’une insoutenable légèreté de la part de certains de nos élus. Plus grave, le RNI n’a pris aucune disposition contre ses élus à la Deuxième Chambre, ou au moins contre celui qui a décidé du retrait.
Il faut dire que le malheureux Rachdi avait cru bien agir en faisant bien son travail, déclarant voici quelques mois que le coût annuel des abus de la corruption serait estimé à 50 milliards de dirhams avec une retombée direct de 2 % sur le PIB en raison de la baisse de la productivité, ajoutant que « la corruption irrigue l'économie informelle, renforce les inégalités et dissuade les investissements, notamment en augmentant de 20 % les coûts des investissements dans un contexte de corruption croissante ». Qui peut mettre cela en doute ?
Face aux constats de l’Instance, le gouvernement réagit à sa manière, par le déni. Et c’est ainsi que le porte-parole du gouvernement Mustapha Baitas, sérieux comme un ouragan, vient dire lors de son point de presse que la lutte contre la corruption relève des priorités du gouvernement. Et on est prié de le croire.
Pourquoi donc Bachir Rachdi est-il parti de son poste de président de l’Instance ? Certains disent que c’est parce qu’il a failli commencer à marquer des points, d’autres rétorquent qu’il a failli tout court, et une troisième catégorie soutient l’idée qu’il est arrivé à la fin de son mandat. Les trois raisons sont poussives. Bachir Rachdi ne voulait pas marquer de points mais faire son travail, il n’a pas non plus faillé car il a dit, écrit et rappelé au gouvernement la réalité des choses, et la question du mandat étant au Maroc très volatile, sa durée n’a jamais importé pour maintenir ou limoger quelqu’un.
Mais bon, quand les élus du parti conduisant la majorité se retirent d’une séance parlementaire pour signifier leur ire, quand Transparency (dont M. Rachdi, rappelons-le, fut secrétaire général) gèle sa participation à l’INPPLC en expliquant que « l’association a décidé de ne pas participer à un organe dont l’action demeure suspendue en raison de l’absence de volonté réelle de sa mise en œuvre », quand le Maroc s’enfonce dans les classements internationaux, quand les ministres défendent l’indéfendable (comme M. Ouahbi) ou se taisent (comme tous les autres), et quand le vent souffle fort en faveur de la façon de gérer de M. Akhannouch, de ses politiques, de ses amis, alors oui, on peut comprendre que la personne chargée de la lutte contre la corruption s’en aille.
Disons-le, c’est dommage pour ce pays qui a tellement d’ambitions et qui se donne tellement peu les moyens de les concrétiser. Il serait temps de se réveiller et de regarder la réalité actuelle pour ce qu’elle est, une réalité gangrénée par la corruption, et une corruption protégée, pour ne pas dire encouragée, par le gouvernement. Oui, il serait temps de nous réveiller… car, plus grave que la corruption en elle-même, c’est son avenir prospère au Maroc qui inquiète ! Le seul espoir reste, peut-être, dans les élections de 2026…
Aziz Boucetta