(Billet 1242) – Véritable opération mains propres ou simple coup de poing ?

(Billet 1242) – Véritable opération mains propres ou simple coup de poing ?

Une période de l’histoire récente du pays, que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mais dont ceux qui l’ont vécu se souviennent, avec un certain effroi. C’était en 1995… la machine policière et le rouleau compresseur judiciaire interpellaient, jugeaient, condamnaient, embastillaient… Hommes d’affaires, hommes politiques, hommes de main, hommes de paille, bien du monde était pris dans les nasses du filet. Puis, la campagne s’était arrêtée comme elle avait commencé, sans prévenir, brutalement. Rien de tel aujourd’hui, mais une opération « mains propres » qui ne dit pas son nom et qui ratisse pourtant large.

Il arrive un moment dans l’histoire des nations où le droit doit reprendre ses droits, où la loi doit primer sur les intérêts privés et où la justice a le dernier mot. Et il faut croire que le Maroc est arrivé à ce moment. Une charnière, un tournant… Cela fait des années que le roi avertit, prévient, sermonne, et aujourd’hui, ceux qui n’ont pas compris ou ceux qui continuent de vivre selon la loi de la jungle doivent être ramenés à de meilleurs comportements.

Si on observe ce qui se produit dans le pays depuis quelques années, on pourrait prendre la mesure de cette campagne « mains propres » menée tambour battant et à bas bruit ; cela peut sembler paradoxal, mais c’est ainsi au Maroc, tout est paradoxal... Des grands noms de la politique comparaissent devant leurs juges et répondent de leurs faits et méfaits. L’affaire Bioui et Naciri, le cas de l’ancien ministre Moubdiî, celui du Rajaoui Boudrika , pour ne citer que les plus réputés…

Il y en a d’autres, plus discrets, moins connus, moins emblématiques, mais au sein de la classe politique, même si des « ripoux » continuent de sévir, ils sont de plus en plus discrets, et surtout tétanisés, guettant le couperet qui peut leur tomber dessus à tout moment. Qui leur tombera certainement sur la tête, au risque de décevoir les populations si tel n’est pas le cas.

Dernièrement, au parlement, le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit prévenait… crument, sévèrement, brutalement. Quiconque s’est emparé de biens publics devra soit rendre ce qu’il a pris, soit rendre gorge. L’Etat, selon les mots du ministre, ne passera plus rien, ne tolérera plus rien. L’ambition est grande, mais elle paraît sincère ; l’intention du ministre est encourageante, mais la tâche sera rude et dure, tant il y a eu de malversations et de « sorties de routes » potentiellement illégales, certainement condamnables. A vouloir tout arrêter – affaires, corruption et responsables – on s’expose à tout arrêter, tout court, tellement l’amoralité et l’immoralité sont avancées.

Alors on y va franchement, mais en délicatesse. Les fuites se multiplient et se ressemblent, comme si les « mains propres » étaient mues par une main invisible. On entend partout, au parlement ou sur les réseaux, les turpitudes de certains dirigeants ; on apprend des faits, on observe des traquenards, on assiste à des remises à l’ordre, on regarde des vidéos. Tous les secteurs sont concernés, ou au moins une partie significative des secteurs économiques, politiques, médiatiques. Le public passe d’une affaire à l’autre, les langues se délient, les lanceurs d’alerte sont sur leurs lancées, partout dans le pays.

Cela rappelle singulièrement, en effet, cette campagne d’assainissement des années 90, mais aujourd’hui, il en va différemment de ce qui s’était passé voici trente ans ; la charge « morale » semble plus structurée, plus ordonnée, implacable. Ceux qui n’ont pas encore rendu des comptes le feront tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre.

Le Maroc entame une phase de son histoire où les choses doivent être clarifiées ; nous avons un passé et une pratique de corruption qui ne peuvent plus s’accommoder des ambitions du royaume à l’international. Aujourd’hui, le Maroc est sous les feux de la rampe avec ses prises de position géopolitiques, avec ses provinces Sud et la dernière résolution qui appelle à une autonomie de ces territoires, avec ses alliances continentales ou mondiales, avec son projet de Mondial 2030, avec ses programmes industriels, avec sa recherche d’équilibre entre grands de ce monde… et avec une jeunesse digitalisée, organisée, mondialisée, avec une propension à se radicaliser, et qui réclame ses droits et le respect du droit et de la loi.

Le Maroc semble avoir compris que les pratiques doivent changer, que la loi doit désormais devenir le ciment de la nation et le socle de la société. Cela sera difficile, très difficile, extrêmement difficile car les mauvaises habitudes sont bien ancrées dans les esprits et se reflètent toujours dans les comportements.

Les choses seront d’autant plus ardues que la majorité actuelle a multiplié lois iniques, textes obscurs et actes permissifs et douteux, comme le retrait du projet sur l’enrichissement illicite, la négligence de la politique anti-corruption, l’adoption de dispositions entravant la possibilité de saisine de la justice par la société civile, … les soupçons de conflits d’intérêt, les doutes sur la probité des chefs des partis de la majorité (du moins deux d’entre eux). Tout cela a dopé la perception de la corruption, qui atteint des sommets et des records.

Mais, d’un autre côté, la volonté affichée par le ministre de l’Intérieur semble réelle, à cette condition que celui-ci devra ratisser très large, tant dans les rangs des élus indélicats que de leurs éventuelles complicités au sein de l’administration territoriale, et qu’il devra également confronter les grands et les puissants, quels qu’ils soient, car il y en a, et en nombre ! Et, signe des temps, qui devrait inquiéter les inconditionnels du dessous de table et rassurer les puristes, la récente signature d’une convention de coopération entre le chef de la DGSN Abdellatif Hammouchi et le patron de l’Instance de la corruption Mohamed Benalilou. Il n’est qu’à voir le CV de ce dernier pour prendre la mesure de cette convention. L’Etat semble s’être donné les moyens de lutter efficacement contre la corruption qui, elle, disait à juste titre l’ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, lutte efficacement contre l’état de droit…

Alors, véritable opération mains propres ou simple opération coup de poing ? Dans les deux cas, l’Etat semble avoir pris les choses en mains et le problème de la corruption à bras le corps. Attendons, donc… et espérons, en positivant.

Aziz Boucetta



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