(Billet 1185) – Benkirane and the Ladies

Il est devenu coutumier des sorties hasardeuses et mal calculées, Ssi Abdelilah Benkirane, comme cette dernière saillie sur les femmes. Il n’a réussi à créer qu’un puissant tollé des progressistes modernistes et le silence habituel, mortifère, des autres partis. Pour lui, globalement, les jeunes filles doivent d’abord se marier, avant même de penser aux études, au risque qu’elles se trouvent seules à l’issue de leurs parcours universitaires. Grosse, très grosse erreur… mais pas de M. Benkirane.
L’ancien chef du gouvernement, comme chacun sait, est un fin observateur de la scène politique et sociétale marocaine. Il a compris les Marocains, et même les Marocaines, bien mieux que les autres chefs de partis et leurs états-majors. Il sait ce qu’il dit, à qui il le dit, et pourquoi il le dit, et il le dit bien. On peut être d’accord avec lui ou non, ce n’est pas son objectif, puisque son public n’est pas visible ; il n’est pas visible, mais il est très attentif, et le message de Ssi Benkirane parvient à son objectif.
En face, qu’avons-nous ? Des brailleurs et des brailleuses. Des crieurs et des crieuses qui servent de caisse de résonnance à Abdelilah Benkirane. Lui, il fait sa déclaration, il provoque et il choque. Puis il attend ce qui ne manque pas de survenir. Les autres, ses adversaires de tous genres se ruent comme un seul homme, comme une seule femme, dans le piège par lui tendu. Ils font donner tous leurs moyens – qui sont immenses – pour contester, protester, pester et cela crée la polémique. Cette polémique n’affaiblit pas l’homme et son parti, mais ressoude les rangs du parti autour de l’homme.
Ainsi donc, quand il a fait sa sortie sur les femmes, et après l’inévitable période de sidération, les associations féministes sont montées au créneau, relayées par les médias et des hérauts de la modernité et de l’égalité du genre. Tout ce monde rappelle les grands idéaux de la parité, de la constitution, des textes onusiens, des nécessaires besoins en éducation et des fondamentales libertés des femmes, etc… C’est exactement ce que veut Abdelilah Benkirane, car tous les arguments cités et pertinents vont, paradoxalement, dans son sens et assurent ses ouailles du bien-fondé des propos de leur chef/gourou/patriarche.
Question : que valent vraiment cette trentaine d’associations de défense des droits des femmes ? De combien de divisions disposent-elles ? Sont-elles crédibles dans les réalités sociales du pays ? Sont-elles audibles parmi la grande masse de la population ? D’accusatrices, elles se retrouvent accusées d’être manipulées, téléguidées par les adversaires politiques du destinataire de leurs traits. Et le plus cocasse est que dans les rangs des PJDistes et de leurs sympathisants, cette idée complotiste contre M. Benkirane fait son chemin. La bronca supposément spontanée et hautement indignée serait une basse manœuvre politicienne lancée à visage masqué par des partis au gouvernement. Vrai ? Faux ? L’important n’est pas là, mais dans l’accusation non démentie et dans le peu de viralité de la réaction de ces associations.
Les uns et les autres devraient à ce titre s’interroger sur le prudent mutisme des partis politiques, à l'exception peut-être du PPS ou de l'Istiqlal. Eux, les partis et leurs chefs, savent. Ils savent qu’Abdelilah Benkirane parle à l’âme marocaine qui, dans le fonds, dans une écrasante majorité, se retrouve dans le propos de l’ancien chef du gouvernement et patron du PJD. Ce n’est en effet pas parce qu’on vit dans la modernité qu’on est forcément modernes, dans le sens progressiste.
Alors nous avons eu droit au torrent habituel des insultes contre le chef du PJD , émanant de médias qui y perdent encore plus leur crédibilité et de médias qui y laissent un peu plus de leur professionnalisme, provenant d’élus illustrement inconnus en quête de quelques secondes de gloire, sortant de la bouche d’anciens responsables (hommes ou femmes) qui cherchent à se replacer dans la perspective des élections de 2026.
Tous ces gens, associations, militant(e)s féministes, élu(e)s et les autres ne savent pas trop à qui ils s’adressent. C’est comme la pêche au filet qu’on lance sans savoir s’il y aura prise ou pas et si dans les prises, tout sera bon. Abdelilah Benkirane, lui, cible mieux, s’adressant à cette partie de l’inconscient de l’ensemble de la société, ratissant large et incluant les rangs mêmes de ses contempteurs. Et, agissant ainsi, il réitère sa technique pour Gaza, en allant haut, en allant loin dans la provocation, mais en drainant autant d’électeurs potentiels et des sympathisants à la mesure de ses prises de risque.
Que faire alors ? Rien. Notre société est comme elle est, traditionaliste et conservatrice à l’extrême. Au lieu de s’en prendre à Abdelilah Benkirane et de le « martyriser » comme on le fait, c’est un travail de fonds qui doit être mené, sur l’éducation nationale, sur l’interaction entre la tradition et la modernité, sur la place des femmes dans la société. Ce sont des actions claires et porteuses qui doivent être conduites, et c’est une véritable implication des modernistes, féministes, gens de gauche et gens de progrès qui doit être bâtie.
Ce sera dans quelques années, si on commence maintenant ; dans l’intervalle, force est de constater qu’Abdelilah Benkirane gagne du terrain, gagne des voix, gagne tout court. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle, mais c’est ainsi.
Aziz Boucetta