(Billet 1196) – Un été épistolaire au Maroc

(Billet 1196) – Un été épistolaire au Maroc

Curieux été que celui de cette bonne année 2025… On savait que le Maroc est le pays du silence ou, plus exactement, du non-dit, mais cet été, malgré sa bruyance politique inhabituelle, est demeuré mutique. A la place, nous avons assisté à des joutes épistolaires remarquées, à défaut d’être remarquables. Et on a eu droit à à peu près tout.

1/ Crise de succession chez les Boudchiche. La Tariqa Kadiriya Boudchichiya est une confrérie soufie connue et reconnue. Elle remonte à plusieurs siècles et ses affaires sont depuis réglées comme du papier à musique. Sauf que le grain de sable est apparu, en la personne d’un héritier potentiel qui a voulu devenir l’héritier réel à la place de celui qui a été désigné à cette fonction. Des lettres ont fusé de partout, certains soutenant le régulier, d’autres défendant la régularité du soupirant. L’affaire est entre deux frères, leur mère, et la mer des adeptes, aujourd’hui saisie par la tempête. L’arbitrage royal aurait été sollicité, et l’opinion publique opine en souriant.

Mohamed Ouzzine, patron du MP et plus rapide que la foudre, s’est fendu d’une lettre de condoléances… mettant le pied dans le plat ! En quête de voix, il a ajouté la sienne au concert déjà tonitruant de voix pour ou contre l’un ou l’autre des héritiers, pour les contre ou contre les pour. On s’y retrouvera. Il est naturel pour un chef de parti de chercher des voix pour les élections, mais il est meilleur de s’enquérir du véritable boss, celui qui détient « Assirou Rabani » (vaguement traduisible par lumière spirituelle).

2/ Allah is… Allah. Pour Mme Betty Lachgar, il peut être aussi autre chose ; elle l’a écrit et c’est illégal, ce qui l’a conduit à la case prison. La privation de liberté pour n’importe quel(le) militant(e) est toujours affligeante mais aller trop loin est souvent dangereux. Alors tout cela a déchaîné les passions. En premier celle de Me Mostafa Ramid, ancien ministre de la Justice, ministre tout court neuf années durant… et qui s’embête aujourd’hui, multipliant pour y parer les sorties médiatiques. Il accable Mme Lachgar, qui n’en a pas besoin, empêtrée comme elle est aujourd’hui. Il s’est attiré une réponse de Me Abderrahim Jamaï, toujours prompt à prendre la défense de quiconque s’exprime, même quand il dépasse les limites et outrepasse le bon goût. Me Ramid lui répond d’une manière aussi peu convaincante que l’écrit qu’il a reçu. En fait, en vrai et en réalité, les deux semblent se positionner dans une affaire qui ne fait que commencer et qui dopera leur adrénaline et les fera reparaître à leurs fans ; même les grands hommes cèdent parfois à de petites coquetteries narcissiques. Et s’ils laissaient faire Dame Justice ?...

3/ « Le Maroc m’insupporte ». C’est ce que dit (ou que Tahar Ben Jelloun fait dire à) un des lecteurs du Goncourt parisien. Egal à lui-même, Tahar brandit sa hache, ne recule devant rien et bouscule tout sur son passage. Sa Grandeur a été déçu par son voyage au Maroc, avec des prix exorbitants et des services déconcertants. Dans sa chronique intitulée « Très cher Maroc » (en deux parties), M. Ben Jelloun critique ce qui est critiquable mais en fait des tonnes ; bouleversé par le succès de sa chronique I, il en commet une autre où il répète plus ou moins les mêmes choses. Même un grand homme peut être sensible aux clics (comme ceux du point 2/) !... A-t-il raison dans le fonds ? Incontestablement oui ; et dans la forme ? Non, définitivement. Nous autres Marocains aimons bien les formes. L’écrivain à succès et même parfois de talent s’est attiré la réponse de Fouad Mazouni, Marrakchi conscient des limites du problème mais qui reproche très justement à Tahar Ben Jelloun de se regarder dans le miroir de l’Occident, appelant le Parisien à mieux connaître le Maroc, d’y voir ce qui est bien et de dénoncer plus intelligemment ce qui l’est moins. En plus clair, M. Ben Jelloun a le sens de l’opportunité sans être opportuniste ; il gagnerait à renouer avec les réalités, pas toujours mauvaises, et à se montrer réaliste, comme par exemple en exprimant son opinion quant à l’assaut en règle du Monde contre le Maroc. Pour M. Ben Jelloun, le Monde est (forcément) plus grand que le Maroc.

4/ Une « Circulaire » très carrée. Signée et émise par le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit, elle a beaucoup circulé ! Et pour cause… elle inaugure une année où les politiques feront de la politique, car la « Circulaire » leur dit en substance et en creux : « circulez, il n’y a rien à voir et c’est trop tard pour faire ; On s’en occupe ! ». Merveilles et mirages du Maroc millénaire. Dans son discours, le roi Mohammed VI avait enjoint le ministre de l’Intérieur de gérer l’intendance et la législation électorale à venir, dans une lecture stricte de l’article 42 de la constitution, qui dispose que le souverain est « garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat et Arbitre Suprême entre ses institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens ».

M. Laftit est ingénieur de profession et ingénieux dans sa fonction ; immédiatement après le discours, il a réuni les sécuritaires pour encadrer (entre autres) l’opération électorale à venir, puis les chefs des partis politiques pour leur expliquer que l’heure est venue de jouer le jeu en matière électorale, et, enfin, il a adressé cette fameuse circulaire aux walis et gouverneurs. En un mot comme en cent, cette circulaire est destinée à responsabiliser les responsables territoriaux sur les questions de développement, et à sécuriser ces questions de toute œuvre électoraliste ou manœuvre politicienne. Il y aura du boulot ! Désormais, et pour les douze mois à venir, ce sera l’Intérieur qui gérera et assurera la coordination et la cohérence des politiques publiques, avec semble-t-il l’assentiment et l’adhésion de tous les partis, à l’exception du RNI, à en croire certains soutiens médiatiques de ce parti qui ont rudement contesté cette circulaire.

Avec cette circulaire, il n’y a plus de majorité ou de minorité, mais le RNI contre tous.

5/ Le speedomètre pour motos et pour politiques.  Comme chaque fois, une décision majeure est prise par des responsables calfeutrés dans leurs salons feutrés de Rabat. Qu’ont-ils décidé, ces responsables ? Si, en cas de contrôle au speedomètre, il s’avère qu’un moteur de moto a été traficoté, fourrière, amende de 5.000 à 30.000 DH et, si récidive, 3 mois de prison (en peine alternative ? l’histoire ne le dit pas). La raison ? Des statistiques montrant que près de la moitié des tués sur la route sont sur des deux-roues, alors on sanctionne les deux-roues, oubliant que souvent, ce sont des « quatre-roues » (ou plus) qui sont à l’origine des morts sur deux-roues. Pas grave, on sanctionne les deux-roues, mais tollé général et grosse grogne sociale. Horrifié, le chef du gouvernement « en parle » à son ministre des Transports. Ici, pas de correspondance ni de lettre, le chef du gouvernement ne devant pas trop aimer « l’écrit ».

Si, donc, on prend le mot speedomètre dans son sens technique, il concerne les motos ; mais on pourrait y faire passer nos politiques en plein « speed » électoral et le chef du gouvernement qui, voyant le peuple gronder, s’est transformé en « speedy Aziz », faisant « speeder » le ministre istiqlalien Qayouh, encore sous le coup de l’émotion du selfie qu’il a récemment pris avec le président turc Erdogan.

Mais la chose se complique puisqu’il semblerait que des motos soient importées directement avec des moteurs trafiqués. L’Etat ne dit rien, empoche les droits et taxes, à l’import, à la vente et sur le carburant. Puis, un jour de mauvaise humeur de ses responsables, il sévit. Rien de nouveau.

6/ JOUD ou JOOD, la joute. Les mêmes causes engendrent les mêmes effets, et voilà cinq ans déjà, pendant la campagne électorale de 2021, elle avait tiré la sonnette d’alarme ; elle, c’est Hind Laïdi, présidente de Jood. Son association Jood, créée en 2015, vient en aide aux plus nécessiteux, sans arrière-pensée électorale, car elle fait du social. Mais une autre fondation du même nom fait la même chose, et elle est associée à un parti politique ; elle porte pour nom Joud, et espérait que Jood n’y verrait que du bleu… La présidente de cette association Jood, première du nom, a alors fait une vidéo – mieux qu’une lettre – où elle dénonce clairement le RNI de bénéficier de l’amalgame entre les deux noms. Notons que cet amalgame, au lieu de susciter la reconnaissance à Joud bleu, a attiré des commentaires rageurs contre Jood, ce qui est aussi dommage qu’injuste. Dans cette affaire, le RNI fait feu de tout bois et fi de toute loi. Nommément cité par Mme Laïdi, attendons alors la réaction de M. Akhannouch qui, fidèle à son habitude, viendra commenter les faits, affronter les médias, récuser les accusations, brandir sa bonne foi, et faire la lumière sur toussa. On attend.

7/ Rima Hassan dévoile ses états d’âme sur Instagram. Elle est en France et en France aussi, il y a des élections et une opinion publique. Rima Hassan, Franco-Palestinienne pasionaria de la Cause palestinienne, fait parfois du hors-sujet, défendant dans la foulée la mycose algérienne, qu’Alger appelle « peuple sahraoui ». Rima Hassan est championne de l’opportunisme politique et là, aujourd’hui, elle s’essaie à l’équilibrisme diplomatique. Elle vient de commettre un long écrit sur Instagram sur la question du Sahara. « Am, stram, gram, Pic et pic et Instagram ». Elle explique donc avoir compris ce qu’elle n’a pourtant absolument pas compris. Si, elle a compris une chose… avec ses sorties hasardeuses sur un sujet dont elle ignore tout ou presque, elle gêne son mentor Jean-Luc Mélenchon qui n’en peut plus de se contorsionner. Alors, pour lui faire plaisir et surtout ne pas trop l’énerver d’énerver tant les Marocains, elle a pris son clavier et écrit, écrit, écrit… elle a tellement écrit qu’elle a oublié, préalablement, de lire et de s’informer, remontant jusqu’aux Almoravides pour expliquer le Sahara ! Elle a réduit son soutien aux séquestrés de Tindouf (si, si, ils le sont) et elle a fait une risette aux Marocains. Résultat : les Marocains se moquent des états d’âme de Rima, et les Algériens l’insultent copieusement. A vouloir naviguer en eaux troubles, elle semble avoir la nostalgie de son bateau.

Aziz Boucetta



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