(Billet 1201) - Il faut juger Driss el Azami el Idrissi… ou enquêter sur ses propos

Faut-il croire que l’on peut venir raconter n’importe quel bobard à l’opinion publique marocaine et s’en aller impunément ? Il faut croire que oui. Nous avons entendu le chef du gouvernement dérouler son discours d’autosatisfaction face à deux interviewers qui avaient l’élégance de ne pas trop insister. Tout responsable politique ferait pareil mais il sait qu’il s’expose aux critiques politiques après. Seulement voilà, après, silence. Le PPS a réagi, laconiquement, sur les réseaux sociaux ; le PJD a réagi, plus virilement. Et c’est à peu près tout, en dehors de la grande colère sur les réseaux sociaux.
L’année prochaine, dès que les conditions le permettront – on peut d’ailleurs se demander lesquelles –, nous verrons et entendrons les attaques les plus virulentes contre le RNI et son président, venues de toutes parts, y compris des partis partageant l’actuelle majorité, le PAM et l’Istiqlal. Mais cela sonnera creux. Car ce qu’a dit Aziz Akhannouch dans sa prestation télévisée de la semaine dernière implique ces deux partis et les engage ; il a affirmé, clairement, que la majorité est une et qu’elle ira unie jusqu’au moment du lancement de la compétition électorale. S’ils ne sont pas d’accord avec cette affirmation, PAM et PI devraient s’exprimer maintenant, ou se taire à jamais…
Le seul point sur lequel le PAM et l’Istiqlal peuvent être en accord avec M. Akhannouch est l’attaque récurrente menée contre les gouvernements précédents qui, à l’en croire, n’ont pas fait grand-chose. Ces deux partis n’en étaient pas membres, l’Istiqlal ayant quitté le gouvernement en 2013 et le PAM n’ayant jamais participé à un gouvernement depuis sa (très récente) naissance. M. Akhannouch et le RNI, eux, étaient là avant et après l’arrivée du PJD, mais au Maroc, nous ne sommes plus à une contradiction près…
Dans sa réponse filmée à la prestation du chef du gouvernement, le PPS a donc réagi par la voix numérique de son secrétaire général Nabil Benabdallah et du président du Forum des économistes du PPS Mohammed Benmoussa. Le premier a parlé de « manque d’humilité » et de « suffisance », de « chiffres erronés » et a appelé à la « résistance » ; en avant, camarades ! Le second, plus précis, n’en est pas moins entré dans le détail de ce qu’il considère comme manquements du chef du gouvernement, même s’il en a dressé une longue liste ; il a cependant appelé à un débat contradictoire entre opposition et majorité. Il est dans sa logique, mais PAM et Istiqlal, sans critiquer tout ce qui doit l’être dans cette sortie médiatique de M. Akhannouch, n’oseront pas pour autant le critiquer ouvertement, ou peut-être dans des salons fermés et insonorisés, en chuchotant.
C’est vrai ce que dit M. Benmoussa… nous serions donc dans « une parodie de démocratie où le citoyen sera, encore une fois, la victime des comportements scandaleux d'une certaine classe politique ». Il reste le PJD, qui a tonné par deux de ses voix les plus écoutées, celles de Saadeddine Elotmani et de Driss el Azami el Idrissi. L’ancien chef du gouvernement et l’ancien ministre délégué du Budget ont tout simplement démenti les propos de l’actuel chef du gouvernement, l’accusant même de mystification de la réalité économique et sociale.
Les deux anciens responsables ont rejeté le fonds et la forme de ce qu’a dit M. Akhannouch, et cela est de bonne guerre, de guerre politique entre le PJD et le RNI. M. Elotmani a apporté quelques éléments de réponse, mais il est resté globalement dans les généralités, se réservant pour la suite si besoin est. M. el Azami el Idrissi est davantage entré dans le détail.
Et ce qu’il a dit est très grave. Dans une démocratie idéale, les dossiers du dessalement de l’eau de Casablanca et de l’état du cheptel auraient conduit à une saisine d’institutions de contrôle et de bonne gouvernance. Ou même judiciaires. Driss el Azami el Idrissi accuse ouvertement le chef du gouvernement de favoritisme et de négligence pour la question du cheptel, les chiffres présentés ayant même conduit à surseoir au sacrifice rituel de l’aïd el kébir. Pour l’appel d’offres sur la station de dessalement de Casablanca, le chef du gouvernement a répondu à une question complaisante enrobée d’un vernis d’audace journalistique, mais l’ancien ministre du Budget accuse et cogne : à l’en croire, le chef du gouvernement se serait rendu coupable de conflit d’intérêts et de délit d’initié (même si ce délit n’existe pas formellement au Maroc en dehors de la Bourse, mais tfahemna).
Dans une démocratie présentable comme nous le voulons et pour éviter la parodie de démocratie que craint – et les Marocains avec lui – Mohammed Benmoussa, ces deux accusations devraient, doivent avoir une suite. Absolument. La justice devrait s’en saisir, la Cour des comptes devrait se ressaisir et le Conseil de la concurrence pourrait sortir de son silence saisissant. Car, en effet, c’est ou M. Akhannouch qui déforme la vérité (pour ne pas dire ment) ou M. el Azami el Idrissi qui diffame. Dans les deux cas, il faut un arbitre, et dans le cas présent, l’arbitre s’appelle juge.
Et puis, dans cette question de la station de dessalement, on peut relever le silence d’un des principaux acteurs de cette affaire, en l’occurrence Nizar Baraka, ministre de l’Eau et de l’Equipement, maître d’ouvrage de cette infrastructure. Sa probité est connue mais sa retenue dans cette affaire reste mystérieuse, interroge, de même que son silence sur l’origine ou la cause de la crise hydrique qui frappe le Maroc.
Et puisqu’on est dans le silence, il convient de noter ou de s’alarmer du silence des deux autres partis de la majorité, parties prenantes à leurs corps défendant dans le bilan très discutable présenté par le chef du gouvernement, mais aussi engagées dans ce que Nabil Benabdallah appelle « les turpitudes » du chef du gouvernement, ou l’insincérité de ses chiffres.
Il y a donc un solide malaise… la bonne gouvernance est en souffrance, les soupçons de plus en plus lourds, et la doute s’insinue dans les esprits. Et dans un an, nous avons des élections qui donneront un gouvernement lequel sera chargé de gérer la suite des grands projets lancés, le Mondial et la curiosité mondiale pour le Maroc, la transition démographique au Maroc et les enjeux géostratégiques dans notre région et dans le monde.
Dans l’intervalle, nous devrons composer avec des doutes immenses sur l’intégrité de nos dirigeants car, encore une fois, il est absolument indispensable de savoir la vérité sur les questions du cheptel et du dessalement de Casablanca. Attendons, donc, la suite.
Aziz Boucetta