(Billet 1209) – Le Maroc, de A comme Akhannouch à Z comme Génération Z

(Billet 1209) – Le Maroc, de A comme Akhannouch à Z comme Génération Z

Les avertissements venaient de toutes parts, la colère et l’impatience sourdaient à l’envi dans toutes les villes et campagnes du Maroc. Les jeunes sont las d’attendre, et ils le font savoir. Ce week-end, plusieurs marches, manifestations et sit-ins ont été organisés un peu partout, pour dénoncer les conditions de santé, les politiques éducatives, le manque d’emplois… Les forces de l’ordre, malgré quelques dépassements, ont globalement bien agi et réagi. Tout se passe (encore) bien.

Quand on parle de NEETs, on a coutume de citer le chiffre de 4,3 millions de jeunes concernés, mais on oublie de compter leurs familles, ce qui en termes de personnes déçues et en colère nous porte à près du quart de la population qui est en fureur. En face, chez les décideurs, au gouvernement, c’est soit le silence prudent soit l’autosatisfaction béate, ou tout simplement bête. Et il y a aussi ces hôpitaux en souffrance et cette école publique qui n’en finit pas d’agonir…

Dans un pays comme le Maroc, le politique est primordial. Il l’est d’abord parce que c’est à lui que revient le rôle de gérer les contraintes économiques et de répondre aux demandes sociales ; et c’est à lui également d’affronter les mouvements d’humeur voire la mauvaise humeur des populations, en leur parlant. Et c’est là qu’aujourd’hui le problème se pose. Les jeunes de la Génération Z, bien qu’imprégnés des principes et valeurs qui prévalent au Maroc, affichent des logiques différentes et des codes nouveaux. Que les politiques n’ont pas. C’est certes malheureux, mais c’est aussi et surtout dangereux.

Pourquoi dangereux ? Parce qu’en s’enfermant dans le mutisme face à la contestation, la mauvaise humeur du départ peut se transformer en rancœur, puis en fureur. Et ce qui s’est passé ce week-end le montre clairement. Les jeunes se sont passé le mot sur les réseaux (comme dans tant d’autres pays) et sont sortis crier leur douleur ; en face, les forces de l’ordre. Entre les deux, en principe, les corps intermédiaires auraient dû s’impliquer, expliquer, s’expliquer. Ils ne l’ont pas fait, aggravant leur responsabilité.

Et donc, face-à-face entre une jeunesse instruite, cultivée et pacifique et les forces de l’ordre. Ces dernières ont des protocoles d’action, et une manifestation spontanée (et c’en est une) doit être dispersée. C’est ce qu’on fait les agents de police. Et contrairement à ce qui a été dit et écrit, pas de violence enregistrée, des interpellations, des libérations sans suite, mais pas cette brutalité policière débridée qu’on peut voir aujourd’hui juste à côte de chez nous, en Europe. Il semblerait que le mot d’ordre des autorités soit la retenue, mais une présence, et les interpellations sont une manière d’ « aller au contact » de ces jeunes sortis de nulle part, pour essayer de comprendre un peu mieux leur mouvement.

Dialogue entre un journaliste et un jeune manifestant. Question : « Qu’attends-tu, qu’espères-tu pour demain ? » ; réponse : « Rien, je ne veux rien demain, c’est pour aujourd’hui que je suis là ; on ne va pas revenir à la théorie léniniste de la construction de la société de demain, nous c’est la société d’aujourd’hui, de maintenant qu’on veut ! ». Des jeunes instruits et cultivés donc, avec des codes nouveaux pour exprimer des exigences anciennes, face à une classe politique pire que vieille, nécrosée, incapable d’apprendre de ses erreurs, de comprendre les besoins, de répondre efficacement. En un mot, la jeunesse, excédée et exaspérée, bouscule l’ordre et les politiques, tétanisés, attendent les ordres et, ce faisant, alimentent le désordre.

Le problème est que  quand les choses en sont là, un dérapage peut vite survenir ou plus grave, de la récupération politique, de l’infiltration puis la manipulation du mouvement. Le groupe GenZ212 qui a appelé à ce mouvement a publié des communiqués pour se démarquer de certaines prises de position publiées sur leurs réseaux, pour dénoncer les manœuvres de récupération de groupes radicaux cherchant d’abord et avant tout à en découdre avec les autorités, pour récuser les appels enflammés des fameux youtubeurs très actifs à partir du Canada, d’Espagne ou de France.

Et alors même que les choses se sont passées dans la retenue et la modération, plusieurs commentateurs, influenceurs ou reporters ont été vite enclins à céder aux anciennes habitudes de tempêter contre la répression, de proclamer le requiem de la liberté d’expression, de dénoncer les interventions qu’ils ont jugé musclées… alimentant la colère au lieu de constater que la police n’a pas engagé ses « robocops » mais fait intervenir des agents en très grande majorité compréhensifs et pacifiques. Qu’ils regardent les répressions en Europe et aux Etats-Unis, conduites par des agents surarmés, masqués, grossiers, méchants qui frappent, bottent, tirent, traînent par terre, incarcèrent … rien de tel ce week-end : les manifestants ont manifesté et les forces de l’ordre ont œuvré à maintenir l’ordre. Mais aucune intermédiation, bien que les jeunes aient manifesté devant le parlement, qui a brillé par sa noirceur. Bien évidemment, les partis iront chacun de leurs communiqués indignés, prenant la défense de jeunes auxquels ils n’ont jamais su parler et s’élevant contre un gouvernement où ils auraient tous voulu être. Faillite morale, servitude volontaire, La Boétie a déjà fait le travail, et le chef du gouvernement, forcément responsable de la situation, est strictement incapable d’un « je vous ai compris ».

Nous sommes donc à un tournant. La société bout, les jeunes sont vent debout, mais n’ont personne à qui parler, ce qui énerve et irrite. La responsabilité du gouvernement est sérieusement engagée. Et alors que le roi dénonçait le 29 juillet « le Maroc à deux vitesses » et que le ministre de l’Intérieur a repris au pied-levé le dossier social et la question territoriale, le chef du gouvernement a allumé une étincelle lors de sa prestation télévisée du 10 septembre dans laquelle il a exprimé et affiché une satisfaction qui n’a pas été acceptée par la société, ni par les jeunes, et encore moins par leurs parents.

Il est temps que cela cesse, le Maroc, sa jeunesse, son histoire, son avenir et surtout sa sta-bi-li-té méritent mieux. Il est temps que cela cesse, il est temps que de grandes décisions soient prises…

Aziz Boucetta



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