(Billet 1210) - GenZ, une politique-fiction comme remède...

(Billet 1210) - GenZ, une politique-fiction comme remède...

Et donc, notre jeunesse connectée et énervée s’exprime… à  sa manière, en manifestant pacifiquement, mais en protestant colériquement. En face, le gouvernement, responsable de ces maux sociaux qui retardent tant le pays et irritent tant ses citoyens, s’exprime aussi… à sa manière aussi, c’est-à-dire en se taisant prudemment et en singeant l’autruche. Les deux parties sont assourdissantes, les jeunes par leurs slogans légitimes, et le gouvernement par son silence.

La situation donne le vertige. Que se passera-t-il ? Que faut-il faire pour que les jeunes rentrent chez eux et que les politiques sortent de leur torpeur et de leurs abris ? Rien, aucune solution ne se profile à l’horizon, l’anxiété me prend à la gorge et une sorte de vertige inconnu me surprend. Alors, je m’administre rageusement un peu de Xanax pour me détendre. Je me détends, je prends un autre comprimé, puis, perdant le contact avec le réel, j’en ajoute un énième. J’ai des hallucinations… je regarde devant moi, sans rien voir d’abord, puis…

… dans une sorte de brouillard blanc qui couvre  tout, je distingue des formes humaines qui s’agitent et marchent, d’autres qui courent, tous crient des choses où je saisis vaguement les mots hôpital, école publique, emploi… il n’y a pas d’énervement, mais une ferme détermination… les gens avancent par petits groupes et, de groupes de jeunes en grappes de manifestants, j’avance et le brouillard s’éclaircit, se lève… une forme architecturale apparaît, floue, aux contours dansants, une forme familière. J’essaie de me concentrer pour fixer l’image, convoquer ma mémoire pour définir le lieu, et tout à coup, l’édifice se précise, c’est le parlement à Rabat. Il est bleu, puis rose, puis violet, il change de couleur, balayant le spectre des teintes choisies par les partis pour les élections.

Le Xanax fait son effet, et me projette à l’intérieur du bâtiment, dans le vaste hall qui pourrait être celui des Pas (et des espoirs) Perdus, là où des élus fument sous un panneau d’interdiction de fumer. Ce jour-là, ils ont de bonnes raisons d’en griller une et même plusieurs ; le temps est à la colère dans les rues, chez les jeunes, et il est temps de comprendre cette colère. Les députés se tâtent, réfléchissent, se concertent, certains pestent et protestent contre le gouvernement.

Xanax aidant, je vois des groupes se former, avec des députés de tous les bords, parlant à voix haute, criant leur projet de demander des comptes à ce gouvernement, source de la colère des citoyens. Il est vrai qu’a moins d’un an des élections et des possibles renouvellements de mandats et d’exacerbations des vanités, mieux vaut être bien avec le peuple. Et de fait, députés de gauche et de droite conciliabulent, le RNI en force entoure de son halo bleu des élus de partis confidentiels, Istiqlaliens en renfort et élus du Tracteur qui se pâment ; même les socialistes sont venus, ils sont tous là, se cherchant et à la recherche d’une légitimité perdue. Puis les 13, chiffre porte-bonheur du PJD et effectif de sa petite grappe parlementaire, sont arrivés, attirés par ce vent de contestation naissante et tombée par la grâce divine.

Ces députés, grands et petits, jeunes et moins frais, riches ou en voie de l’être, adeptes du Progrès ou accrochés à la Tradition, tous crient à l’unisson, comme un seul homme : « Assez ! ». Oui, ils ont osé, finalement. Informés de la situation, quelques chefs de groupe accourent, puis leur président, le président, aussi. Tous constatent ce signe inhabituel de vie, ce vent inédit de sédition au sein des députés. Quelqu’un dit : « Mais quoi faire ? », quelqu’un d’autre crie : « Motion de censure ! », les autres : « Oui, bien sûr ! ». Les chefs de groupe se regardent, s’interrogeant des yeux pour savoir s’ils ont cette marge d’audace ; le président, adepte de la fatalité politique, les foudroie de son regard habituellement gentil : « Puisqu’il en est ainsi, faisons les choses dans les règles… », dit-il aux deux cents et quelques députés présents à ce moment aussi historique qu’hystérique, bruyant, un peu cafouillant. Retour à l’hémicycle, en bon ordre, dans un silence pesant ; une poignée de ministres et deux ou trois secrétaires inconnus étaient assis à leurs places, un sourire triste barrant le visage défait, semblant résignés ; ils avaient appris, ils avaient compris.

Les chefs de groupe, disparus un instant, reviennent dans la salle plénière ; ils s’étaient absentés le temps de vérifier deux ou trois petites choses, qui leur furent confirmées. Et alors, le ballet des déclarations enflammées des chefs de groupe démarre, sous les applaudissements nourris des députés, venus ce jour-là en nombre, tous, les chefs, les sans-grades et même les rétrogrades. Tous disent « hchouma », tous crient « baraka ! », sans majuscule, car il s’agit de l’interjection pas du nom de famille. Le président laisse faire, savourant ce moment historique qui le voit au centre du jeu.

Au Maroc, il faut le cinquième des députés pour que la motion de censure déposée soit recevable ; ils sont environ 300 députés à être accourus, hélés par leurs hiérarchies respectives. Le cinquième est là, et même la majorité absolue. Gêne intense dans les bancs réservés au gouvernement, les ministres ne savent que faire ni comment sortir de cette galère.

Le chef du gouvernement se présente, fébrile. Il est venu en personne pour s’enquérir de la situation ; en effet, personne ne lui a répondu au téléphone, ni ses députés ni le président. Personne, hormis quelques ministres effrayés et désemparés. Il est là, il consulte, il ne comprend pas. « Pourquoi veulent-ils faire ça, alors que tout va bien dans le pays ? », se demande le chef courroucé par tant d’ingratitude. Que de carrières ici se sont faites grâce à sa bienveillance ! Tant de fortunes sont en train de se constituer grâce à sa sollicitude !

« Le vote ! le vote ! », crient les députés, enhardis par mon Xanax. Ils votent. 312 votes, 311 « oui » et 1 égaré qui s’abstient. Le gouvernement tombe, certains députés sortent en trombe pour annoncer la nouvelle au peuple. Le peuple aurait été heureux et content… si l’effet des Xanax n’était pas passé.

Aziz Boucetta



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