(Billet 1211)– GenZ...en attendant une action royale, il ne faut pas se tromper d’adversaire

Bon, et bien maintenant que nous avons un aperçu global de la situation, on peut réfléchir. Deux constats s’imposent, une population qui commence à légitimement s’énerver avec des jeunes qui ne font plus dans le « silmia » (pacifique), d’un côté, et de l’autre, un gouvernement largement dépassé par les événements, dans sa compréhension de ces événements et dans son action pour apporter les solutions et réponses demandées. Des jeunes outrés qui manifestent et un gouvernement manifestement dépassé.
1er, 2nd, 3ème, 4ème jour, 5ème jour, et cela risque de se poursuivre. La logique habituelle des GenZ dans le monde est respectée, et encore plus au Maroc. Le week-end, les choses se sont bien passées, avec d’inévitables et habituelles bavures sans importance, puis lundi, des interpellations plus musclées et mardi, les premières échauffourées, incendies, destructions de matériels ; mercredi, des morts... Personne ne pourra honnêtement soutenir que les forces de l’ordre n’ont pas été exemplaires, mais quand le grabuge commence et que le premier sang coule, on ne sait pas jusqu’où les choses iront et où tout cela s’arrêtera.
La jeunesse est en colère, pestant contre la réalité économique et les conditions sociales, et la majorité se réunit pour apporter une réponse politique. Et cette réponse nous montre cette éclatante et révoltante vérité : en plus du Maroc à deux vitesses, voilà le Maroc des deux dimensions. La jeunesse, la population, s’exprime dans la rue, sur l’ensemble du territoire, par le slogan et la colère, et le gouvernement se réunit à Rabat, vestes tombées, donnant l’allure d’une réunion de médecins. La jeunesse, lasse d’attendre, et les parents avec elle, exige de l’immédiat, et le gouvernement répète exactement et dans les mêmes termes ce qu’il a toujours dit, ce qui a précisément jeté les gens dans les rues.
Aujourd’hui, c’est le 6ème jour depuis le début de la contestation et de la désormais très forte incertitude, doublée d’inquiétude, parfois d’angoisse, qui règnent. Mais il ne faut pas se tromper d’adversaire, et la police/gendarmerie n’en est pas un ; elle, elle fait son travail, dans la rue, face aux jeunes qui expriment leurs doléances, dans la rue. Les jeunes ont trois adversaires, les politiques, les voyous et les récupérateurs.
1/ Les politiques au gouvernail, qui ne savent pas gouverner ni même gouvernailler, qui se réunissent, font de la com, beaucoup de com, et répètent ce que les jeunes et leurs parents ne veulent plus entendre, en l’occurrence « faut attendre, ça viendra ». Les images de la réunion de la majorité sont accablantes ; des mines défaites de ministres multipliant de grands gestes dès qu’ils sentent la caméra braque sur eux, ou elle… mais quelle est cette « instance de la majorité » et quel poids institutionnel a-t-elle réellement ? Si, lors de la réunion de cette instance, on lui a adjoint les ministres concernés, pourquoi MM. Laftit et Lekjaâ en étaient-ils absents ? Pourquoi le gouvernement, responsable de tout ce qui survient, ne s’expose-t-il pas ? Et les parlementaires ?... Tous, ou presque, aux abris, laissant les jeunes en colère contre les forces de l’ordre, désarmées (aux deux sens propre et figuré) ou, acculées et en légitime défense, tirent.
Dans le cadre politique, institutionnel, social, académique et même populaire, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander une intervention royale, au titre et en vertu de l’article 42 de la constitution. Cette intervention devient plus que souhaitée et attendue car le Roi est l’ultime recours contre le dérapage et le seul secours contre l’incurie. En effet, il semblerait que le gouvernement, confiné dans sa dimension abstraite, laisse les jeunes aux prises directes avec les forces de l’ordre, avec les risques d’embrasement que l’on a pu constater hier. Ce serait alors la seconde fois en six mois que le souverain s’engagerait pour remédier aux turpitudes d’un chef du gouvernement qui a démontré son inaptitude à cheffer, la première ayant été la renonciation au sacrifice de l’aïd al-Adha.
Le gouvernement Akhannouch aura finalement échoué dans sa mission, avec ces spectacles affligeants de forces de l’ordre contenant une population survoltée. Et il échouera aussi à garantir une légitimité aux prochaines élections, les jeunes qui appellent déjà à un boycott de la CAN pourront à plus forte raison tourner le dos aux urnes, le moment venu. Ce gouvernement est toxique ; il ne peut durer jusqu’aux élections sans danger majeur pour l’équilibre social.
2/ Les voyous. Le phénomène est connu et toutes les polices du monde vous le diront ; dans une manifestation où les gens scandent des slogans raisonnables et montrent leur exaspération légitime, les choses sont gérables. Elles le sont moins quand les inévitables casseurs se joignent aux cortèges et les prennent en otages ; eux, ils veulent en découdre avec la police/gendarmerie, ils veulent « casser du flic » et fracasser le reste, devantures de magasins, équipements publics, mobilier urbain… C’est ce qu’on a eu le malheur de voir hier un peu partout dans nos villes, et à Leqliaâ, deux morts ! Les GenZ ont condamné ces agissements et ont mis une distance entre leur légitime mouvement et les casseurs masqués ou cagoulés qui ont investi les rues.
On ne peut légitimement faire grief à la police/gendarmerie, qui a montré la retenue et la modération dans son action ; elle a chargé, sans ses équipements anti-émeutes, des bandes de jeunes sortis dans les rues pour en découdre, sans revendication autre que la satisfaction d’exprimer leur colère contre le symboles du pouvoir (police, gendarmerie, …) et les signes de richesse (banques, magasins, …).
3/ Les récupérateurs. On a dénoncé, à longueur de réseaux sociaux, la présence de Nabila Mounib au milieu des manifestants, mais on dira ce qu’on voudra, la députée a fait son travail de députée, et la politique en fait partie ; et même chose pour Abdelilah Benkirane qui s’est adressé directement aux jeunes GenZ. En revanche, personne ne parle de ces récupérations par les youtubeurs qui jouent les oiseaux de malheur, agissant à partir du territoire national ou d’ailleurs, de France, d’Espagne, du Canada, de Belgique… Manipuler des images, jouer l’émotion, attiser les colères, exacerber les rancœurs et les haines, et titiller les forces de l’ordre… que cherchent-ils au juste ? Ceux du dehors appellent explicitement au soulèvement général, emportés par une haine d’eux-mêmes et de leur pays qui reste incompréhensible ; ceux du dedans rapportent les images, les sortant de leur contexte, essuient parfois une larme, déforment volontairement les faits, les amplifient et jouent aux Tartuffes. Ils se reconnaîtront.
A les entendre, on a le sentiment qu’ils sont à la recherche d’une vengeance contre le système en général, et ils savent parfaitement ce qu’ils font et ce qu’ils veulent, le chaos, l’anarchie. Ils s’en délectent, s’en réjouissent, en rajoutent. Il faut qu’ils cessent.
Nous en sommes là. Il est urgent que cela cesse. Le Maroc est inquiet, les Marocains doutent, chacun à sa manière, chacun avec ses mots. Le royaume commence à faire la Une des informations dans le monde ; ce beau, paisible et ambitieux Maroc que nous défendons urbi et orbi, le voilà en proie à un mouvement social spontané, incontrôlé, s’étendant de jour en jour… et que, en l’absence d’une classe politique capable et entreprenante, influente et audacieuse, seul le Roi peut arrêter.
Aziz Boucetta