(Billet 1213) – GenZ, un grand moment de télévision

(Billet 1213) – GenZ, un grand moment de télévision

Il était extrêmement plaisant de regarder l’émission « Soyons clairs » (Nkounou wadhine) sur 2M, ce dimanche soir, avec cette rencontre entre les « deux parties en conflit social », en l’occurrence la majorité politique et les jeunes. Plusieurs GenZ étaient là, pour questionner et réagir aux arguments de l’Istiqlalien Nizar Baraka et de la PAMiste Najwa Koukous ; le RNI n’était pas là, mais c’est désormais secondaire. L’étendue de l’incompréhension est abyssale, et le dialogue était incroyablement sourd.

Le Maroc a donné naissance à une génération de jeunes instruits, bien formés, décomplexés, qui ont laissé la peur ou juste la prudence à la génération de leurs parents. Ils ont des choses à dire, et ils les disent, clairement, explicitement, parfois crûment. Attendant des réponses.

D’abord la forme. Nizar Baraka, secrétaire général de l’Istiqlal et ministre de l’Eau et de l’Equipement, s’est présenté sous sa première qualité, n’insistant pas trop sur la seconde, ou plutôt insistant pour rappeler qu’il était là en sa qualité de SG et non de ministre. Gros couac ! La logique, et même le respect des règles démocratiques, voudrait qu’il démissionne du gouvernement… Son alliée du PAM Najwa Koukous, parlementaire, a répété à plusieurs reprises qu’elle n’était pas membre du gouvernement et qu’elle ne saurait être tenue pour responsable de l’action de ce gouvernement. Pourquoi ne pas assumer, endosser l’action gouvernementale et s’exposer aux critiques qui, de toutes les manières, ont fusé de partout dans le studio ?

Pauvre Aziz Akhannouch, il doit se sentir bien seul avec ses ministres RNI, aujourd’hui dissimulés aux regards, planqués, ne faisant même pas rempart de leurs corps à leur chef et bienfaiteur. Nadia Fettah, Fatima-Zohra Ammor, Karim Zaidane, Amine Tahraoui, Mohamed Saad Berrada sont portés disparus, et Mustapha Baitas a coulé corps et biens (et âme aussi) à l’issue de son entretien sur Medi1TV la semaine dernière. Oui, pourquoi le RNI n’était-il pas présent hier à 2M ?

Dans le fonds, et bien qu’il faille saluer le courage de Nizar Baraka d’aller au charbon, le fossé, la faille, le gouffre entre les politiques et les administrés est géant. Les mots des jeunes claquent comme un fouet, les réponses de M. Baraka et de Mme Koukous sont laborieuses, malgré les grands gestes et les trémolos. Le patron de l’Istiqlal a déroulé les argumentaires rationnels dont il a l’habitude et présenté les réformes internes de l’Istiqlal, mais les jeunes n’en démordent pas : « Vous avez failli en tant que gouvernement, vous devez partir ! ». A un moment, Nizar Baraka se lance dans une longue diatribe à l’adresse de la jeune Douaâ (membre de la jeunesse du PPS, mais 2M ne l’a pas étrangement dit), qui l’écoute poliment, et quand il eût fini, elle opine du chef et commence sa réponse par un terrible « lmouhim ». Ce n’était même pas calculé mais ce simple mot montre la perception des discours politiques par les jeunes : du blabla, de l’enfumage. Un autre invité, un jeune du PJD, éloquent et passionné, demande une plus grande autonomie des partis politiques, et jeter cela à la face du n°1 du PI et de la n°3 ou 4 du PAM, il fallait oser.

Il est terrible de constater cette rupture intergénérationnelle entre d’une part deux politiques qui sont certainement sincères mais inaudibles et cette jeunesse, logique, audacieuse, anglophone, connectée entre elle et au monde, mobile et pressée. Une fois, en 2005, Jacques Chirac face à des jeunes avait eu ces mots terribles : « Je ne vous comprends pas ». C’est le cas des deux responsables politiques ce dimanche soir ; pour le chef du gouvernement, cela serait : « Je ne vous entends pas » et, pour parler jeune « je ne vous calcule pas »…

Ces jeunes GenZ ne sont pas comme leurs aînés. La GenX a composé et avalé bien des couleuvres, mais les temps étaient différents ; la GenY a manifesté sa réprobation et ses protestations en s’en allant, en quittant le pays. La GenZ a des griefs et elle entend bien les dire haut et fort car ses ambitions, elle entend les réaliser hic et nunc, entraînant avec elle les X et les Y... Elle a commencé depuis 10 jours à le faire de manière directe, prenant appui sur ses premières formes de contestation, le rap et les tifos.

Et là, on voit l’étendue du gouffre séparant le gouvernement et le parlement de cette jeunesse, qui est le Maroc de demain. Cette jeunesse est en colère car elle voie les responsables actuels hypothéquer son avenir par les mauvaises décisions et les mauvaises pratiques.

Au final, cette émission de 2M a permis plusieurs enseignements. Istiqlal et PAM, sentant le souffre dans le gouvernement et la majorité, essaient de mettre le plus de distance avec le RNI, mais sans avoir le courage de le dire ; le langage ampoulé ou solennel des partis ne passe plus auprès des jeunes ; ces jeunes sont d’une trempe différente de celle de leurs aînés du 20 février ou de leurs aînés tout court, ils sont fermes, déterminés, heureux de vivre mais malheureux qu’on ne leur en donne pas l’occasion.

Et ils veulent que le gouvernement s’en aille, c’est même devenu le leitmotiv. Oui, c’était un grand moment de télé.

Aziz Boucetta



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