(Billet 1237) – Taxe Zucman au Maroc ? N’y pensez même pas

(Billet 1237) – Taxe Zucman au Maroc ? N’y pensez même pas

Le projet de loi de finances 2025 est en passe de se transformer en loi de finances tout court, comme d’habitude, sans heurts ni labeur gouvernemental ou parlementaire notoire. On est dans le rythme institutionnel normal, sans aspérité, sans prise de risque, sans surprise, sans innovation notable, sans rien. Les concepteurs et défenseurs du PLF donnent pourtant l’impression, chaque année, d’innovations époustouflantes et d’efforts herculéens pour les imposer, mais rien de tel. Rien comme une taxe Zucman, par exemple…

Mais entendons-nous, cette taxe ne pourra en aucune manière être introduite, si elle l’est un jour, par l’actuel exécutif pour la simple et double raison qu’il et en train de faire adopter sa dernière loi de finances et que, formé en partie et dirigé par le grand capital, il n’aurait eu aucun intérêt à appliquer une taxe Zucman dans le royaume. Et pourtant…

Et pourtant, au Maroc, en plus des ultrariches, il y a les rentiers et même les ultra-rentiers. L’Etat les connaît, pour leur avoir jadis accordé rentes, avantages et privilèges. Certains se perpétuent encore aujourd’hui, et des fortunes colossales ont été constituées. On peut supposer, on peut espérer que ces gens paient leurs impôts, comme tout le monde mais, différemment à tout le monde, l’origine de leur fortune est particulière et spécifique. Est-il vraiment outrageux et outrageant de penser qu’ils pourraient payer plus d’impôts, ou simplement les ajuster à leur situation ? Comment ? La discussion et le débat peuvent être ouverts par les sachants, dans les ministères, les administrations fiscales, et même ailleurs, là où on sait.

Revenons à la taxe Zucman… Le principe global de cette taxe n’est pas de rajouter de l’impôt à l’impôt et encore moins d’alourdir les charges des investisseurs, mais de gommer l’écart de paiement dû aux diverses et nombreuses optimisations fiscales des grands groupes, ou  ultra-riches comme on les appelle ailleurs. Et comme nous avons aussi les super-rentiers, l’introduction de cette taxe serait utile pour doper les ressources fiscales de l’Etat, injecter plus d’argent dans les caisses et surtout assurer plus d’équité dans l’impôt.

Aujourd’hui, l’opinion générale est à la contestation de l’inégalité et même de l’iniquité fiscales, dues à une importante proportion de l’impôt indirect dans les recettes de l’Etat, et aussi, et surtout, à la très forte charge qui pèse sur les salariés, placés entre le marteau de l’IR et l’enclume de l’inflation, le premier tapant comme un sourd sur la seconde, avec l’infortuné contribuable au milieu. Globalement, les ressources fiscales de l’Etat sont assurées en grande partie par ceux qui travaillent, tandis que ceux qui s’enrichissent passent entre les mailles du filet.

Avec le gouvernement actuel, très imaginatif pour collecter l’argent avec facilité, la retenue à la source est devenue la panacée ; les entreprises se surveillent mutuellement et se transforment en auxiliaires de collecte de l’impôt pour l’Etat, les autoentrepreneurs sont considérés de facto comme des fraudeurs potentiels, les entreprises réalisant moins de 300.000 DH de bénéfice paient plus d’impôt… Tout cela serait normal au vu des grands projets publics et des immenses ambitions affichées, mais tout cela n’est pas normal, eu égard au fait que les ultra-riches et les ultra-rentiers ne contribuent pas assez au budget de l’Etat. L’inégalité est là, et elle bascule souvent en iniquité.

Iniquité car il existe bien des gens en ce pays qui sont propriétaires terriens, dont la valeur du patrimoine augmente avec la flambée des prix enregistrée depuis plusieurs années. Ils doivent être soumis à un impôt spécial, avec des dispositions qui prennent en compte les situations où ces personnes n’ont pas nécessairement de liquidités.

Iniquité car il existe bien des rentiers, « historiques », qui bénéficient de situations avantageuses et monopolistiques ou oligopolistiques, qui ont bâti des fortunes et qui s’acquittent, comme d’autres, de l’impôt sur les sociétés ; mais eu égard aux privilèges et à cette relative facilité à prospérer, ces rentiers doivent être soumis à une taxe ou un impôt supplémentaire.

Iniquité car nous avons au Maroc bien des entreprises qui ont bénéficié de situations exceptionnelles pour réaliser des profits tout aussi exceptionnels, comme dans le reste du monde. Sauf que dans une partie du reste du monde, des taxes spéciales et temporaires ont été imposées à ces entreprises, essentiellement les compagnies pétrolières et gazières suite à l’aubaine (pour eux) de la guerre en Ukraine.

Iniquité car il existe encore, et ô combien, de structures qui exercent leurs activités par la grâce d’agréments ou autres autorisations spéciales. Ces entreprises, aidées par l’Etat à travers ces privilèges, doivent pouvoir payer plus que les autres, plus « normales ».

On objectera qu’en taxant ces entreprises, on bridera l’effort d’investissement mais on répondrait qu’en agissant ainsi, l’Etat abaissera une très forte pression fiscale sur des salariés qui doivent se contenter de leur salaire, lequel se réduit indirectement d’année en année du fait de l’augmentation des prix de l’immobilier ou des produits de première nécessité. C’est vers eux que se dirigerait une politique fiscale plus égalitaire.

Après tout, le Maroc dit à qui veut l’entendre qu’il bâtit un Etat social. Un Etat social, c’est commencer par l’égalité et l’équité fiscales, et un Etat social, sans être forcément égalitaire, doit au moins œuvrer à le devenir. Alors, taxe Zucman ou n’importe quelle autre appellation, l’important est d’instaurer une certaine forme de justice, et d’augmenter les ressources de l’Etat sans continuellement piocher dans les poches des gens ordinaires.

Aziz Boucetta



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