(Billet 384) - Un gouvernement de caporaux

Ils sont deux douzaines de ministres formant un gouvernement dit de compétences, ainsi autoproclamé pour réussir l’émergence. Optimistes et enthousiastes, nous avions applaudi à sa nomination, faisant généreusement fi de certaines erreurs de casting. PJD, RNI, USFP, MP, UC ont débarqué le PPS et formé un tour de table entre eux, pour hisser ce pays vers le firmament, pour remédier aux maux des uns et trouver les mots justes aux autres. Ok.
Nous n’avons rien vu de tangible durant les 5 mois ayant séparé le jour de leur nomination, un vague 11 octobre, de celui du commencement de leurs errements en temps covidiens. Or, l’épidémie semble avoir encore de beaux restes et de grands jours devant elle. Au commencement était l’action et le Verbe ; avec le temps, se sont installées les hésitations et la gerbe.
Il est temps aujourd’hui de dire les choses. Nous ne méritons pas plus ce gouvernement qu’il ne nous mérite car nous sommes un peuple aussi étonnamment gentil que nos gouvernants sont anormalement déjantés. Nous venons de perdre une occasion en or de remédier à nos défaillances sociales : nous en sommes tous aujourd’hui, absolument tous, à payer le prix fort des turpitudes passées. Un système éducatif défaillant et un dispositif de santé effrayant.
Nous voyons maintenant ce que nous aura coûté la privatisation de l’enseignement, avec des établissements privés qui menacent les parents sinistrés et appauvris ne pouvant payer des cours non dispensés à leurs progénitures, et personne n’y peut rien, le ministre Amzazi s’en lavant copieusement les mains au gel hydroalcoolique. Il est venu à la télé expliquer, à une heure d’un match de foot très attendu, que son communiqué de la veille, tombé un samedi vers 21h30, était aussi inapplicable pour lui qu’inexplicable pour les millions d’apprenants concernés et de parents consternés. Peut mieux faire en matière de com…
Le ministère de la Santé qui a multiplié les turpitudes et les forfaitures tout au long des dernières années, voire décennies, a vu arriver à sa tête un homme à la tête bien pleine, mais qui a pleinement affiché son incompétence dans la gestion d’un pays en crise sanitaire majeure. Il suffit d’aller à l’hôpital de la Mamounia à Marrakech pour prendre la mesure des décès qui auraient pu être évités… avec tout simplement une meilleure organisation et une plus grande implication dans la détresse respiratoire des patients et dans la détresse tout court de leurs proches et des corps soignants !
Pour une année de sécheresse, nous n’avons pas beaucoup entendu le ministre de l’Agriculture. 30.000 Marocains bloqués à l’extérieur et le chef de la diplomatie joue au matamore, regrettant le temps béni et pas si lointain où il enchaînait les riantes inaugurations de consulats à Laâyoune. La ministre du Tourisme aurait dû rester dans le privé et se priver de cette humiliation de se voir patauger dans les eaux gluantes d’un secteur en dépression. MHE est à bout de souffle après avoir survendu ses invisibles respirateurs. Le ministre des Finances nous déploie un plan de sauvetage digne d’une dépression économique secondaire et non d’une catastrophe sanitaire meurtrière. Et, dans son cadre en bois, y a la barbe du chef du gouvernement, arrivé là par bravade, et qui r’garde ses troupes se transformer en viande froide…
En juillet, le roi déclare qu’il assume tout ce qui s’est passé, et de ce jour, les ministres n’assurent pas plus le futur qu’ils n’assument le présent. Silence abyssal alors même que le nombre de contaminés, de morts et de traumatisés à vie bondit. Oh, il est certes aisé de revenir au passé, d’attaquer, de vitupérer, de morigéner contre les errances passées et les déshérences à venir, mais la lutte aujourd’hui doit aller vers la mise en place d’un système intégré de gouvernance, cohérent, où les responsables seraient véritablement responsabilisés et où tout le monde, absolument tout le monde, en dehors du chef de l’Etat, comme ailleurs, serait comptable de ses actes.
On raconte qu’en 1940, un responsable britannique entra chez Winston Churchill, le cheveu en bataille, l’âme en berne et l’esprit en lambeaux, lui expliquant que rien n’allait dans le pays, sous le feu de la Luftwaffe. Le grand homme s’enquiert de chaque secteur ; réponse : « Rien ne va, M. le Premier ministre, sauf la justice qui continue de fonctionner plus ou moins normalement », ce à quoi Churchill répond : « Alors tout va bien, car quand la justice va bien, il n’y a pas lieu de s’inquiéter »…
Voilà, la rentrée politique, économique, entrepreneuriale, scolaire, universitaire et surtout sociale est à nos portes. Souhaitons alors bonne chance à celles et ceux qui continuent d’attendre de la classe et de l’audace d’une caste politique aussi invertébrée que décérébrée, opposition incluse aux côtés d'une majorité confuse.
Aziz Boucetta