(Billet 385) – L’épidémie s’étend, la société se tend…

(Billet 385) – L’épidémie s’étend, la société se tend…

Quoiqu’il arrive, il faut toujours être optimiste et appréhender les choses sous leur angle positif ; voir la vie en rose, quoi… Sauf qu’au Maroc, aujourd’hui, le climat est plus que morose et même l’éternel optimiste qu’est Moulay Hafid Elalamy ne vient plus disserter sur la sinistrose. Le pays vient de dépasser le sinistre seuil des 1.000 morts, et si le nombre des guérisons prête à l’optimisme, celui des contaminés est toujours élevé, et forcément sous-évalué… Dans l’intervalle, les nerfs se tendent et l’édifice social se fissure.

Malgré le discours alarmiste du roi Mohammed VI, le 20 août, les officiels campent sur leurs positions tout juste soucieuses. Le ministre de la Santé sort de temps à autre de ses bureaux de Rabat, promet monts et merveilles, puis disparaît. Le ministre de l’Industrie, après une longue fugue, refait son apparition, et nous présente un lit de réanimation 100% marocain, mais ne pipe mot sur les appareils de réanimation et encore moins sur les réanimateurs. Quant au chef du gouvernement… passons.

Sur le plan sanitaire, et plus précisément hospitalier, l’heure n’est pas à la joie, et on pourrait même avancer sans risque d’erreur que c’est la pagaille. Les médecins en première ligne contre la Covid-19 préfèrent, eux, le mot « catastrophe ». Certains, à Marrakech, pleurent de rage et d’autres sont tétanisés face à ce qui ressemble fort à un naufrage. Leurs confrères, à Casablanca, disent que les choses sont mieux gérées mais, que voulez-vous, il est difficile de réanimer des gens sans réanimateurs, ni appareils de réanimation. D’où le cortège de corbillards.

Sur le plan social, une guerre s’annonce entre les parents désabusés, tétanisés, devant choisir entre un présentiel sanitairement périlleux et un distanciel psychologiquement ravageur, et l’effarant système d’enseignement qui est le nôtre. Quelle décision prendre ? Il est toujours ennuyeux de se trouver entre un marteau gouvernemental qui pilonne, une enclume familiale qui encaisse et des établissements privés qui n’ont d’yeux et de pensées que pour leurs caisses. On peut les comprendre, mais qui comprendra les parents désemparés ?

Arrive la culture, le champ de la cohésion sociale par excellence, la passerelle entre le passé et l’avenir, l’âme d’une nation et le réceptacle de sa grandeur. Et bien les gens de culture, les artistes, s’étripent… Entre les « Ombrageux » et les « Institutionnels », c’est la guerre ouverte, nourrie par les rancœurs cumulées des premiers et les impératifs d’accumulation des seconds. Les deux listes ont autant raison que tort, et seul le dialogue peut rapprocher des vues qu’un mur d’incompréhension sépare pourtant…

N’oublions pas ces Marocains qui n’en finissent pas d’être bloqués à l’étranger, parfois à quelques encablures de leurs pays, de leurs chaumières, de leurs familles… et dont plus personne ne se soucie, laissés seuls face à leur détresse, eux qui ont cru en leur pays qu’ils se font violence pour aimer encore. A tort.

Marrakech se meurt, Tanger a peur, le Maroc entier est plongé dans une sorte de dangereuse torpeur dont nul parmi les responsables ne semble prendre la mesure tant les gens, obnubilés par la crainte de l’avenir, sont insouciants au quotidien et les gouvernants, tétanisés par l’ampleur de ce qui ressemble à un désastre, sont inconscients.

Les mécontentements naissent, pour moult raisons, et impactent tous les segments de la société. Pour l’instant, ces mécontentements sont encore segmentés, quoique toujours virulents. Les doutes s’installent face à ce qui ressemble fort à une situation d’exception inédite, et les réseaux sociaux offrent une formidable caisse de résonnance des malheurs et des récriminations.

Nos politiques, pendant ce temps-là, sont joueurs : ils jouent les uns contre les autres, ils jouent la montre, ils jouent à la roulette russe… alors même que tout le monde a raison dans ses peurs et plonge de jour en jour dans ses malheurs. Nous sommes dans une situation d’exception économique et de détresse sociale, mais nos politiques, décidément exceptionnels, ne semblent pas le comprendre alors même qu’ils devraient voir, prévoir ou même, simplement, entrevoir, le risque d’une convergence de tous ces mécontentements. Cela se produit déjà dans d'autres pays...

Aziz Boucetta

 



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