(Billet 386) – Binational et loyal, le casse-tête !

(Billet 386) – Binational et loyal, le casse-tête !

Et encore une facture sociale, une !... Les polémiques se suivent, diffèrent dans le fonds mais convergent dans la forme. Un fait survient, quelqu’un exprime une opinion et immédiatement, si débat il y a, ou devrait y avoir, il bascule en anathèmes, en attaques, en excommunications… Aujourd’hui, c’est la question de la double nationalité au Maroc et la possibilité, ou non, d’occuper de hautes fonctions dans le royaume si on détient une autre nationalité.

Les faits. Ahmed Charaï, patron de presse auquel on prête une influence certaine et dont on dit qu’il murmure à l’oreille de certains puissants, écrit un éditorial qui explique globalement qu’ « à partir d’un certain niveau de responsabilités, la double nationalité est problématique ». Il est dans son plein droit de le penser, de le dire et de le défendre, bien qu’il dénie ce droit à ceux qu’il accuse de signer « des brûlots mettant en cause les institutions du pays ». En face, Samira Sitaïl, qu’on ne présente plus et qui a également un sens efficace du murmure, réagit sur Twitter en disant ceci : « Grand gagnant du prix #Tfou 2020, Ahmed #Charaï. Cet "éditorialiste" ne remue pas les foules mais j'ai décidé de donner de la visibilité à son populisme de bas étage sur la loyauté des #binationaux ». Animosité à part, elle a aussi le droit d’exprimer son opinion.

Mais aussitôt après cet échange « distanciel », c’est la levée de boucliers et le décochage de flèches. Et pourtant, il est bon de rappeler certaines règles.

1/ Le débat doit être libre, et si possible respectueux des avis des uns et des autres. Chacun a le droit de penser ce qu’il veut, pour peu qu’il n’enfreigne pas la loi des uns, qu’il n’ébranle pas la foi des autres, et qu’il reste dans les limites de la bienséance pour tous. Dans cette affaire, on constatera que les défenseurs des libertés, d’expression ou autres, sont les premiers à dégainer et déclencher les foudres sur qui ose ne pas penser comme eux.

Sur les réseaux sociaux, c’est même devenu la règle et depuis longtemps, entre les pourfendeurs du makhzen et ses défenseurs de moins en moins zen.

2/ Les assauts contre la position d’Ahmed Charaï viennent essentiellement de nos binationaux français, pays à la tradition râleuse, hâbleuse et gouailleuse bien ancrée. 72 heures après la naissance de la polémique, les attaques venant ailleurs que de France sont plutôt rares, sauf exceptions de ceux qui, derrière Ahmed Charaï, ont trouvé là une occasion d’en découdre avec les « amis » qu’on lui prête.

3/ Il existe une différence entre ceux qui sont nés avec une autre nationalité ou l’ont acquise étant enfants et ceux qui l’ont demandée, volontairement, à l’âge adulte. Samira Sitaïl et Mohamed Ezzouak, directeur de Yabiladi, sont dans le premier cas, et ont beaucoup donné à ce pays, qu’on le veuille ou non. S’ils sont incontestablement Français, ils n’en sont pas moins Marocains... Mais une personne qui va d’elle-même demander une autre nationalité, par commodité, pour la sécurité ou la santé, pour les avantages et le passeport, doit faire un choix. L’acquisition d’une nationalité n’est pas un fait anodin et administratif, comme de plus en plus de gens tendent à le penser ; c’est même un acte majeur dans lequel on exprime une allégeance, une loyauté et une fidélité, difficilement sécables entre Etats.

4/ Le clivage au Maroc entre nationaux et binationaux reflète peu ou prou celui entre les « puissants » fortunés et les autres, aussi « impuissants » qu’infortunés et l’animosité va en grande partie contre les binationaux français, football excepté, où les joueurs titulaires d’autres nationalités que celle du rouge et vert sont vilipendés à chaque défaite du Onze national. Le problème entre le Maroc et la France n’est pas seulement politique, il est devenu plus profond, sociétal.

5/ Et maintenant, la question existentielle : « Doit-on, ou non, confier des postes stratégiques à des personnes possédant une double nationalité ? ». Contrairement à ce que pense Ahmed Charaï, la Commission Benmoussa est certes stratégique dans sa mission, mais pas dans les éléments d’information fournis à ses membres. Mais imagine-t-on, à l’inverse, un sécuritaire de haut niveau, ici ou ailleurs, disposer d’une double nationalité ? Non. Cela devrait être le cas également pour les fonctions ministérielles ou celles de la haute fonction publique, administration ou entreprise, à l’exception encore une fois de celles et ceux, naturalisés à leur naissance ou à un âge précoce.

6/ Une simple question, maintenant : Sur les dizaines de milliers de Marocains « binaturalisés » chaque année, combien auraient-ils accepté de franchir le pas si le royaume devait les déchoir de la citoyenneté marocaine, ou si leur pays d’accueil les contraignait à y renoncer ?

Une solution, pour la désignation de binationaux à de hautes fonctions, serait – peut-être – de reprendre le système américain et les faire auditionner par une commission de Sages… nationaux ou binationaux par naissance ou dans l’enfance.

Aziz Boucetta

 



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