(Billet 1124) – Majorité gouvernementale : le cœur n’y est plus, la rancœur s’installe

(Billet 1124) – Majorité gouvernementale : le cœur n’y est plus, la rancœur s’installe

Il sera décidément bien difficile à la majorité politique actuelle de terminer sa mission dans la quiétude et son mandat dans la sérénité. L’année 2025 est à peine entamée que déjà sont lancées les premiers échauffements pour les grandes manœuvres à venir, augurant d’une campagne électorale qui promet déjà de ne pas être comme les autres. La raison ? Il y en a plusieurs, mais la préparation et l’accueil du Mondial sur nos terres semble être l’une des principales.

La majorité parlementaire actuelle est formée, on le sait, du RNI, grand vainqueur inattendu du scrutin de 2021, qui a complété avec le PAM et le vénérable parti de l’Istiqlal sa majorité numérique… numérique et nullement idéologique. En effet, le PAM, né lors de la fin trouble des années 2000 pour en découdre avec le PJD, est un parti « trou noir »* qui développe des idées réformatrices avant-gardistes, et l’Istiqlal, égalitaire, est une formation traditionaliste. C’est du moins ce qui est suggéré sur leurs documents, certes, mais ces deux partis ont un ancrage connu. Il peut être contesté, mais il est connu. Le RNI, lui, se dit social-démocrate, le concept fourre-tout de ceux qui n’ont pas de concept.

Et ainsi donc, comme cela était prévisible, la très fragile coalition d’intérêts construite un peu trop rapidement en 2021 commence à se fissurer et les fissures courent de plus en plus vite le long de l’édifice. Chacun est dans son rôle : Fatima Zahra Mansouri du PAM parle avec appétit et même gourmandise du « gouvernement du Mondial », et Nizar Baraka, le chef istiqlalien, fait de l’istiqlalisme, à savoir un pied dedans, un autre dehors, critiquant le niveau de chômage atteint par ce gouvernement dirigé par Aziz Akhannouch, lequel avait déclaré la guerre au chômage.

Les choses commençaient à accélérer avant que le chef du gouvernement et de la majorité ne convoquent les leaders de cette dernière pour, dit-on, a-t-on dit, enterrer la hache de guerre. Mais il semblerait que l’ensevelissement de cette hache n’était pas parfait, un petit bout dépassait… saisi aussitôt par, toujours, Nizar Baraka, qui assène des coups de toutes ses forces. A un meeting du week-end, le SG de l’Istiqlal a violemment attaqué les spéculateurs et les intermédiaires, puis dénoncé leur âpreté au gain face à des consommateurs appauvris. Le RNI n’est pas cité mais n’est jamais très loin…

Peu importe, si on puis dire… Il semblerait que les six chefs des trois partis, lors de leur réunion au sommet, soient convenus de rester soudés au moins jusqu’à la fin de l’année, c’est-à-dire au lendemain de l’adoption de la dernière loi de finances de ce gouvernement. Et après ? Que se passera-t-il durant les nombreux mois qui séparent la fin 2025 des élections ? Rien ne lie ces trois partis, et si vous avez aimé les joutes de ce début 2025 entre les chefs de la majorité, vous adorerez les banderilles qu’ils se planteront mutuellement début 2026.

D’ores et déjà, on sent la nervosité des uns et des autres. Pour le RNI, comment s’arroger les succès et se défaire des revers ? Pour le PAM et l’Istiqlal, comment tirer leurs marrons du feu et s’en sortir devant les électeurs, le jour venu ? Cette majorité n’a jamais vraiment été soudée, les accords et les sourires n’étant que pour la façade, aujourd’hui fissurée. L’heure a aujourd’hui sonné pour régler les comptes et libérer les rancoeurs des uns et des autres suite aux différentes et nombreuses attaques et autres coups bas portés durant les trois dernières années par le RNI à ses « alliés ».

Il faudra désormais guetter les prises de paroles des chefs de la majorité. Pour son chef, c’est simple, il ne s’exprime pas, pas plus que les cadres, cadors et autres caïds de son parti bleu. Pour les autres, que diront à l’avenir Nizar Baraka et Ryad Mezzour, Abdellatif Ouahbi, Fatima Zahra Mansouri et Mehdi Bensaïd ? Ils n’ont jamais véritablement été des alliés du RNI, et on peut même dire qu’ils lui sont farouchement opposés. Pour rappel, un an avant les élections, les deux partis, PAM et Istiqlal, avaient contracté une alliance, un rapprochement, une entente, avec le PPS de Nabil Benabdallah. Sur le plan personnel, on ne peut qu’abusivement parler d’amitié entre MM. Ouahbi et Baraka d’un côté, M. Akhannouch de l’autre.

Et alors que les esprits s’échauffent et que les armes se fourbissent, les uns et les autres évaluent leurs atouts. Le RNI, qui a goûté au « pouvoir », voudrait y rester ; c’est du moins l’intention qu’on lui prête. Et quand on aime, on ne compte pas, surtout l’argent. Le RNI fera ce qu’il faut, comme il l’a déjà fait en 2021, se souciant peu de crédibilité et de respectabilité.

Ce sont au contraire deux choses auxquelles le PAM et l’Istiqlal tiennent mais, au vu de l’état moral de cette majorité RNIste, elles ne sont pas acquises. La corruption avance triomphalement (et l’enrichissement illicite aussi), le conflit d’intérêt prospère à bas bruit (de plus en plus assourdissant…), les grands chantiers sociaux (santé, éducation, éducation) sont en sérieuse difficulté… Face à cette réalité, il serait tout indiqué au PAM et à l’Istiqlal de prendre leurs distances avec le RNI, mais il reste cette année à gérer collectivement et le PLF 2026 à négocier intelligemment.

Mais tout laisse croire que l’édifice s’écroulera dès l’adoption de cette loi, en décembre prochain, laissant neuf mois avant le scrutin. Dans des coalitions normales, on maintient la cohésion le plus tard possible, mais dans la triade RNI-PAM-PI, les choses ne se passeront pas comme cela. Connaissant la férocité des RNIstes quand leurs intérêts sont en jeu, on peut parier que la coalition éclatera dès les premiers mois de 2026.

Et ainsi, après 7 mois de blocage en 2016-2017, le Maroc risque de connaître une autre période de crispation sur les neuf mois de 2026. Il appartiendra alors aux décideurs, de tous niveaux, à ceux qui ont le pouvoir d’agir ou de réagir, d’éviter cela au pays, surtout que les menaces géopolitiques se seront accentué d’ici là…

Aziz Boucetta

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*Trou noir : Région de l'espace dont le champ gravitationnel est si intense qu'il empêche toute forme de matière ou de rayonnement. Tout rapprochement avec la situation du PAM devient dès lors compréhensible…

 



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