(Billet 1131) – Hicham Jerando, un cas d’école

(Billet 1131) – Hicham Jerando, un cas d’école

On peut accabler Abdellatif Ouahbi autant qu’on veut, et on aurait même raison de le faire à certaines occasions. Plusieurs même… Mais on ne peut que lui accorder crédit lorsqu’il s’élève contre les hurleurs du net, colporteurs de fausses informations, courant après le clic et le fric qui va avec, s’emportant contre tout et tout le monde. Oui, nous l’avons dit et nous le redisons, la liberté d’expression est une bien belle chose, mais comme toutes les choses, belles ou non, elle doit être cadrée et réglementée.

Il faut savoir que ces gens, qu’on appelle influenceurs et parfois même ils s’affublent du titre de « militants du net », sont de simples marchands de paroles. Plus leurs propos sont insanes et radicaux, et plus ils attireront des internautes vers eux, et aussi des paquets de dollars. Mais les objectifs sont différents : ceux qui parlent, en général, n’ont aucune information ni preuve de ce qu’ils disent, et ceux qui écoutent, les récipiendaires de « l’info », n’ont que très peu de connaissances structurées qui leur permettraient de faire la part du vrai et du faux.

Dernièrement, une affaire a agité l’opinion publique. Enfin… agiter est un bien grand mot. Une famille a été interpelée par la police, elle a été interrogée et, dans l’attente de son procès, elle a été mise en détention provisoire. Parmi les membres de cette famille, une jeune fille de 13 ans, elle aussi placée dans un établissement pour mineurs. Tous ces gens sont des proches de Hicham Jerando, un youtubeur qui a l’habitude de crier à partir du Canada toutes sortes d’accusations sur toutes sortes de responsables, et qui a entraîné sa famille au Maroc dans ses turpitudes.

Ces « dénonciations » sont-elles vraies ? Fausses ? Personne ne le sait, il appartient à la justice de faire son travail. Ce travail est aujourd’hui entamé, et il est perfectible. Les organes de gouvernance, l’opposition, l’opinion publique sont là pour faire entendre leur voix si la justice ne fait ce qu’elle doit faire, tout ce qu’elle doit faire. Dans le strict respect des lois et des procédures, bien évidemment.

Mais ces dernières semaines, et même ces derniers mois, Hicham Jerando, très certainement émoustillé par sa notoriété et fortement attisé et attiré par les rentrées d’argent que ses sorties invariablement accusatrices, invariablement sans preuve lui procurent, est sorti du cadre communément admis. Ses « révélations » touchent maintenant aux institutions de l’Etat et à la monarchie qui, elles, doivent être protégées.

Les défenseurs des libertés publiques, individuelles, d’expression et d’opinion objecteront que tout peut être dit, et qu’ainsi est un Etat de droit, mais en disant cela, ils se trompent. Tout ne peut être dit, tout ne peut être écrit ; il y a des lois, des règles, une doxa, des traditions, et tout cela doit être respecté. Hicham Jerando, lui, fonce bille en tête vers ce qui lui rapporte de l’argent. L’insistance sur l’argent s’explique par cette question : « Quel intérêt à cet homme à dire que le roi du Maroc est confronté à une sorte de révolution de palais, victime d’un tas de pratiques de sorcellerie, avec la complicité des hauts responsables de ce pays ? » ; quelle personne sensée ou simplement ordinaire donnerait crédit à ce type d’ « infos » ? Qui pour croire à un envoûtement, un ensorcellement du roi, à un coup d’Etat, à une prise du pouvoir par les responsables sécuritaires ?… L’intérêt ne peut être que le clic, car le clic est rémunérateur… dans les 10.000 dollars canadiens par mois, grâce au partage des revenus.

Il ne peut y avoir d’autre intérêt que l’argent car l’homme ne défend aucune idéologie particulière, aucune doctrine politique, aucune position intellectuelle ; en parlant devant sa caméra, il ne se fonde sur rien, n’explique rien, ne prouve rien, il accuse à tort, il dézingue à mort. Il jette des noms en pâture à l’opinion publique et, sans réaction de ces personnages ou de la justice, certains pourraient donner crédit aux affabulations de cet homme, qui revient sur les morts de personnages comme le politique Abdallah Baha ou le policier Abdelhak Khiam, ne donnant pas le début de commencement de preuve, en dehors du regard inquisiteur, des clins d’œil complices, des sourires entendus et des incriminations sous-entendues.

Si la justice ne s’était pas invitée dans cette affaire, cela aurait été inexplicable et aurait ouvert la voie à toutes sortes d’analyses, d’explications, de soupçons et d’incompréhensions. Et une fois cela fait, si une mineure se trouve impliquée, la loi et le droit la protègent contre toute forme d’injustice ou d’abus, en plus de l’opinion publique, émue par son cas. Mais il faut que la justice passe, sans émotion excessive ni poursuites abusives, et la société y veille.

Aujourd’hui, Trump, Musk et Thiel sont là, et avec eux, il n’y aura plus de limites aux réseaux sociaux, à la circulation d’informations, même fausses, souvent fausses. Internet deviendra, entre leurs mains, un instrument de conquête du pouvoir et de fragilisation des Etats ; ils ne s’en cachent pas, voire le revendiquent. Cela a déjà commencé et cela ne peut pas, ne doit pas durer. Il est important, vital, que les Etats se défendent et mettent un terme à ces paroles fondées sur le mensonge et la diffamation, orientées vers des objectifs opaques et conçues pour créer le doute, puis la panique, puis l’anarchie.

Hicham Jerando vit et sévit au Canada, où il a été poursuivi, jugé et condamné pour menaces et outrages au tribunal. Mais les Canadiens – qui semblent ne pas avoir encore compris que le monde change, sans eux – détournent le regard dès lors qu’il s’agit de ces vidéos complotistes ; « c’est leur affaire, aux Marocains », pensent-ils… Il existe même des Marocains, pourtant instruits et sachants, qui ont le réflexe pavlovien d’accabler l’Etat car « il-muselle-les-voix-libres », et ne considèrent pas les dégâts occasionnés aux personnes accusées à tort. Car un responsable marocain, même politique, même sécuritaire, est d’abord une personne, qui a également droit à sa dignité. On a tendance à l’oublier.

Dans ce monde de plus en plus dangereux, aux incertitudes croissantes et aux perspectives plutôt sombres, il faut choisir entre croire en son Etat, tout en le maintenant sous surveillance, légale et institutionnelle, et donner crédit aux divagations de ce type d’énergumènes… entre renforcer son Etat, avec les limites d’usage, et défendre ces gens qui, sous couvert de droit, ne sont rien d’autre que les profiteurs de la crédulité ou de la rancœur des gens.

Quant aux services de sécurité, à la justice, aux institutions, chacun est à sa place et fait son travail. Et pour la monarchie, elle est bien à sa place aussi, n’en déplaise aux élucubrations de gens comme Hicham Jerando, un véritable cas d’école des menaces numériques qu’affrontent désormais le monde en général et le Maroc en particulier.

Aziz Boucetta

 



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