(Billet 1141)– Commission d'enquête/Prix des viandes... maintenant, ça devient intéressant !

(Billet 1141)– Commission d'enquête/Prix des viandes... maintenant, ça devient intéressant !

Et finalement, ce qui devait arriver et qu’on ne pensait pas voir un jour, arriva. Quatre partis d’opposition, MP, PPS et PJD (et, après un temps d’hésitation, l’USFP aussi) demandent une commission d’enquête sur la question des viandes, leur prix, leurs importations, les subventions et autres faveurs fiscales accordées par le gouvernement pour réduire les prix et renouveler le cheptel. Une polémique a enflé autour de la question, et rien de mieux qu’une commission d’enquête pour crever l’abcès. Mais sera-t-elle formée ? C’est toute la question…

Tout commence par des prix des viandes qui s’envolent, et qu’on impute quasi automatiquement comme tant d’autres problèmes aux effets de la sécheresse. Puis la spéculation apparaît, le ministre Ryad Mezzour parle à la télé de 18 spéculateurs, puis de droits de douane, puis de subventions. Puis son chef au parti et collègue au gouvernement enfonce le clou et lance son fameux « Ayez de la compassion ! » (« ittaqiou Allah fel mgharba ! »), expliquant lui aussi sur une autre télé les mécanismes de subvention et les doutes qu’ils entraînent. Et puis c’est au tour du président de la Chambre des représentants Rachid Talbi Alami qui vient répondre à Nizar Baraka qui soutenait Ryad Mezzour qui ferraillait contre Driss el Azami el Idrissi qui appuyait sur la plaie… et le ministère de l’Agriculture, finalement, consent à apporter sa vérité et ses chiffres… qui diffèrent quelque peu des chiffres jusque-là agités par un peu tout le monde.

Une cacophonie de la majorité, qui tranche singulièrement avec l’aphonie de son chef, mais cela, on le sait déjà.

Dans l’intervalle et en surplomb de tout cet embrouillamini, agissant vite agissant bien, le roi Mohammed VI décide de demander aux Marocains de surseoir cette année au rituel du sacrifice, ce qui a ramené les prix des viandes rouges vers le bas. Mais la pression de la spéculation et l’étroitesse du marché étant ce qu’elles sont, ces prix sont remontés après ramadan.

Les questions se posent, donc, légitimes, brûlantes, très pertinentes : Que se passe-t-il dans cette affaire, et que s’y est-il passé, et pourquoi, malgré les fleurs et les faveurs, les prix n’ont-ils pas finalement baissé ? Et d’autres questions arrivent, à la suite : qui sont les bénéficiaires, quels objectifs leur ont-ils été fixés par les décideurs, et qui sont ces décideurs ?... Il est inutile de ressortir les chiffres brandis par tous les personnages susmentionnés ; ils sont souvent les mêmes (sauf ceux de l’Agriculture) mais triturés à la manière individuelle de chacun, selon ses intérêts : les Istiqlaliens veulent toujours « en » être (du gouvernement) sans s’y compromettre, Rachid Talbi Alami est la muraille du RNI, mais cette muraille risque d’isoler le parti derrière elle, l’opposition cogne, ayant à la main une rare aubaine de montrer les turpitudes d’une majorité en voie rapide d’implosion.

Trois institutions devaient en principe et en toute éthique se saisir de cette affaire : le Conseil de la concurrence, mais il ne l’a pas fait, la justice, mais elle ne l’a pas jugé utile, et le parlement. Avec cette demande de création d’une commission d’enquête, l’opposition aura fait son travail, du moins en partie. On ne sait pas qui a pris cette initiative au sein de la minorité parlementaire, mais cela l’honore… bien que le tiers des membres de la Chambre des représentants soit requis (132 députés) et que, collectivement, les quatre groupes et groupement ne totalisent que 97 élus, avec 34 pour l’USFP, 28 pour le MP, 22 pour le PPS et 13 pour le PJD, sans comptabilisation des corrections en cours de route législative (invalidation, condamnation, incarcération,…).

Que faire alors ? Si le politique et le juridique ne sont pas suffisants pour créer cette commission d’enquête sur l’affaire des viandes, alors peut-être que la logique et l’éthique pourvoiraient au manque de voix pour le faire.

La logique est de revenir aux propos du président RNI de la Chambre Rachid Talbi Alami, un vétéran de la scène politique nationale qui sait ce qu’il dit, quand il le dit et pourquoi il le dit. Et ce qu’il a dit est limpide, montrant que les choses se sont passées comme elles le devaient et que tout est parfait et légal. Au nom de cette logique et de cette déclaration de M. Talbi Alami, il ne devrait pas y avoir de problèmes pour faire adhérer le RNI au groupe ayant demandé la création d’une commission d’enquête. Mais soyons réalistes…

Quant au PAM, il n’a pas eu de propos vraiment intelligibles et crédibles sur cette crise des prix des viandes et, plus généralement, de certains produits agricoles, mais au nom de la logique et de l’éthique, il devrait adhérer aux groupes et groupement ayant demandé la constitution d’une commission d’enquête sur la question. Mais, encore une fois, restons réalistes…

Il reste l’Istiqlal, et l’éthique. Nizar Baraka, patron de l’Istiqlal, a lancé dans un meeting son fameux (« ittaqiou Allah fel mgharba ! »), puis à la télé, il a révélé des chiffres sidérants sur le niveau de la spéculation dans les prix des produits agricoles, martelant que « le parti de l’Istiqlal ne tolérera pas que l’avidité continue de nuire au pouvoir d’achat des citoyens ». Cela tombe bien, une opportunité de commission d’enquête est là pour faire la lumière, dire les vérités et, au besoin, transmettre au parquet qui, lui, empêchera justement que « l’avidité continue de nuire au pouvoir d’achat des citoyens ».

Si les environ 80 députés du groupe parlementaire de l’Istiqlal se joignent aux 97 élus qui vont signer la demande de création de cette commission (cela serait une forme de Koutla ressuscitée), le tiers sera atteint, la commission verra le jour et tout le monde y verra plus clair ; on l’espère et on verra bien. Avec cette initiative, et à 18 mois de la date des élections législatives, l’opposition se réveille et se relève, essayant de faire bloc commun, et l’Istiqlal se trouve face au dilemme de refuser de se joindre à l’opposition et de se décrédibiliser, ou d’accepter de le faire et de marquer ainsi une distance avec le PAM qui appréciera peu, et le RNI, qui n’appréciera pas. Mais ainsi est la politique…

La demande pour cette commission intervient quelques jours avant l’ouverture de la session printanière du parlement, et ce n’est certainement pas une coïncidence. Les prochains jours montreront un dynamisme inhabituel, inhabituel car institutionnel et non plus simplement vociférant, de la classe politique marocaine. En attendant « le gouvernement du Mondial », nous aurons le show du « parlement des Mercuriales ».

Aziz Boucetta



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