(Billet 1169) – Face à la (perception de la) corruption, les jeunes s’en vont !

(Billet 1169) – Face à la (perception de la) corruption, les jeunes s’en vont !

S’il y a bien une chose sur laquelle une unanimité s’est dégagée dans le pays, c’est que la corruption a bien prospéré sous le gouvernement actuel ; et lorsqu’on parle de corruption, on pense à la pratique en elle-même mais aussi à la perception que s’en font les gens. Le corruption explique bien des travers de notre société et bien des défaillances de notre économie. La corruption, c’est l’argent qui change indûment de mains, c’est aussi le népotisme et le favoritisme, c’est encore le conflit d’intérêt ou le délit d’initié, et c’est enfin la corruption morale.

Et toutes ces corruptions, au final, empilées, amoncelées, aboutissent à un système auquel il est difficile de croire, et que les jeunes croient de moins en moins. Nous avons là une explication de l’exode, car nous en sommes arrivés à un point de migration qu’on peut comparer à un exode. D’autant plus incompréhensible qu’il concerne un pays stable, dynamique, prometteur, et de plus en plus influent. Que se passe-t-il alors, que s’est-il passé ?... Pourquoi nos jeunes veulent-ils toujours autant partir vers l’étranger, et pas nécessairement en Europe, de moins en moins en Europe ? Parce qu’ils ont le sentiment que quelque chose ne tourne pas rond et que l’égalité des chances reste inégale…

Une jeune architecte, ayant fini ses études, explique qu’elle n’a pas pu s’inscrire au concours de la fonction publique parce qu’elle n’avait curieusement pas reçu son diplôme, pièce indispensable pour ce concours. Et puis, plus grave, elle n’a aucune confiance en cet examen car, dit-elle, si l’anonymat de l’écrit ne permet aucune tricherie, c’est lors de l’épreuve orale que les choses se font… Vrai, faux ? On n’en sait rien, mais la perception de cette jeune architecte et de ses condisciples est ainsi faite.

Tout le monde se souvient de l’examen d’accès à la profession d’avocats pour 2022, qui avait fait couler beaucoup d’encre et de salive, et de bile aussi. Sans revenir sur ses détails affligeants, rappelons seulement qu’il avait été réorganisé quelques mois plus tard, montrant une faillibilité  coupable des organisateurs de cet examen. Plus tard, les jeunes juristes en herbe s’étaient regroupés dans un Comité national des victimes de l’examen du barreau, c’est dire… là encore, une mauvaise perception, avec même quelques cas tellement flagrants qu’on dépasse la perception pour arracher une conviction.

Pour la médecine, c’est pareil… Les jeunes étudiants en fin de parcours ne dénoncent absolument pas la corruption du système d’études médicales dans le royaume, mais ne parviennent pas à se projeter dans l’avenir, comme médecins au Maroc. « Le système est verrouillé par les anciens », disent-ils à l’unisson, expliquant que dans le public, les conditions de travail sont mauvaises et que dans le privé, la concurrence est très rude et l’akditalisation bat son plein. L’herbe n’est certes pas plus verte ailleurs et la médecine n’est certainement pas meilleure ailleurs, mais son environnement, si. Alors, là aussi, la perception que les choses ne tournent pas comme elles le devraient incite nos jeunes toubibs à s’en aller, sitôt leur diplôme obtenu.

La profession de magistrat, et le statut qui va avec, est tellement prisée que les jeunes juristes veulent y être, en être. Mais pour ne pas offusquer nos magistrats, quelle que soit leur position, assise ou debout, il suffit juste d’aller en fac de droit et d’écouter ce que disent les jeunes sur les conditions d’accès, institutionnelles et/ou « estimées », à cette profession… On saura alors quelle est leur perception…

Sortons des professions libérales et/ou réglementées et allons maintenant aux structures publiques, ou même privées. Voici quelques années, nos confrères à TelQuel disaient ceci sur le patronat : « Frères, sœurs, cousins, nièces, neveux, proches, amis et ex-collaborateurs… les nouvelles instances dirigeants de la CGEM respirent la consanguinité et l’entre-soi. Malaise ! ». Oui, c’est le moins que l’on puisse dire… Et voilà des propos tenus par un ex-banquier : « En 40 ans de métier, ce que j’ai retiré de mes fonctions est que la corruption règne à tous les étages ! ».  Et que dire de certaines universités privées (elles se reconnaitront) qui ne paient pas leurs enseignants, trompant par là leurs étudiants qui, pourtant, paient leurs frais de scolarité !... Et il en va de même pour la fonction publique où le noyautage partisan était et demeure la règle : jadis, on appréhendait l’Etat PJD et aujourd’hui, l’Etat RNI se forme. On peut être bleu dans une fonction mais si on est bleu politique, cela passerait, selon une rumeur sacrément insistante.

Et pourtant… pourtant, nous avons de la compétence dans ce pays, nous avons une constitution qui consacre l’égalité des chances et la parité, nous avons des organes qui contrôlent et une opinion publique qui râle. Mais comme le disait très justement Abdelilah Benkirane, « ce n’est pas nous qui luttons contre la corruption, c’est elle qui lutte contre nous ! ». Et qui marque des points ! Que l’on juge : le très intègre Bachir Rachdi s’en va de l’Instance de lutte contre la corruption (à sa demande, dit-on…) parce qu’il a constaté le peu d’empressement du gouvernement à l’aider (il a peu apprécié la réduction du budget de son organisme), Transparency Maroc se retire de la Commission nationale de lutte contre la corruption, jugeant désespérant le bilan de la stratégie nationale de lutte contre la corruption. Et la corruption, donc, marque des points.

Pas de loi sur l’enrichissement illicite, pas de législation sur le conflit d’intérêt, introduction d’articles dans la procédure pénale compliquant la dénonciation des crimes financiers dans la sphère publique… et la rumeur, jamais infirmée, méchamment alimentée par les histoires des uns et des autres. C’est cela, en grande partie, qui conduit nos jeunes à ne plus faire confiance, à considérer que oui, l’herbe ne peut qu’être plus verte ailleurs. Avec des chiffres comme 37% des jeunes de 15 à 24 ans en chômage, et 1,5 million de NEETs, sans emploi, sans éducation, sans formation… sans espoir ni perspectives, on peut les comprendre. S’en lamenter, mais les comprendre.

Et pourtant, encore une fois, ce pays regorge d’opportunités. Ce sont les paradoxes qui le ruinent. Nous avons un criant déficit de médecins et de personnels paramédicaux, on attend de plus en plus dans le privé, mais les jeunes médecins et les paramédicaux s’en vont ou veulent s’en aller ; nous avons peu de magistrats, immensément d’étudiants juristes et la masse salariale publique a augmenté de 40% sur les 10 dernières années, mais on n’augmente pas l’effectif de la magistrature de manière significative. Nous avons un secteur informel de plus en plus épais, mais il est laissé en jachère, faisant perdre à l’Etat des ressources vitales et aux jeunes une confiance nécessaire.

Et l’hémorragie continue… les jeunes de ce pays, les mieux formés, les plus talentueux, les plus prometteurs et les plus ambitieux, qui constituent l’énergie vitale de ce pays, son sang, continuent de s’écouler vers des terres plus accueillantes où, là aussi, simplement perçues comme telles. Selon un enquête menée par l’Arab Barometer en 2024, 55% des jeunes Marocains âgés de 18 à 29 ans pensent et voudraient œuvrer à quitter le pays !

La perception est donc la première chose à travailler pour lutter efficacement contre la corruption ; que les gens soient convaincus que la volonté est là pour éradiquer le fléau et les choses iront mieux, les talents resteront chez eux. Question : la volonté existe-t-elle, vraiment, chez ce gouvernement ? La réponse appartient à chacun.

Aziz Boucetta



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