(Billet 1174) - Marhaba... aux 120 milliards de DH !

(Billet 1174) - Marhaba...  aux 120 milliards de DH !

On l’a compris, « Marhaba », c’est le nom de l’opération d’accueil de nos compatriotes résidant à l’étranger, et 120 milliards de DH est le montant, la somme, le pactole, reçu l’année dernière (et à recevoir aussi cette année) de ces Marocains du monde. Entre les deux, il reste un grand absent, en l’occurrence la politique publique à destination de ces 6 millions de nos expatriés…

… Une politique publique explicitement réclamée par le roi Mohammed VI, dans deux discours adressés à la nation, c’est-à-dire on ne peut plus officiels et solennels. Le souverain s’y était pris donc avec méthode. En août 2022, dans son discours désormais « historique » sur le prisme, et là le terme historique n’est pas galvaudé, le roi avait posé nombre de questions sur les besoins de nos compatriotes à l’étranger : cadre législatif, politiques publiques, adaptation des procédures administratives, encadrement religieux et éducatif… Tout y était passé, la feuille de route royale était claire. Las… l’inaction du gouvernement l’a opacifiée.

Un peu plus de deux ans plus tard, le roi Mohammed VI est revenu à la charge, dans le discours traditionnellement consacré aux provinces sahariennes. Ce 6 novembre 2024, donc, le souverain avait détaillé sa vision des affaires de la communauté marocaine à l’étranger : restructurer le CCME, créer la Fondation Mohammedia dédiée et mettre en place un Mécanisme de mobilisation des compétences.

Et que pensez-vous qu’il arriva, comme dirait Voltaire ? Ce fut l’espoir de voir quelque chose se construire qui creva. Oh, il y eut bien quelques réunions suite au discours royal, mais toujours rien. Y a-t-il des résistances à affronter ? Des intérêts à combattre ? Des egos à soigner ? Des mésententes à dissiper ? Toujours est-il que les raisons pourraient être multiples, mais le résultat est le même : rien.

Et c’est d’autant plus étrange que selon les spécialistes de la question, le principe même de la création de la Fondation Mohammadia des MRE indique que la question des Marocains du monde relève toujours du champ d’action royal. Cela remonte à l’époque du roi Hassan II, quand il avait instruit de réserver l’accueil qu’ils méritent aux Marocains du monde ; en 2022, voilà ce que disait son fils : « L’Etat déploie des efforts considérables afin de garantir un bon accueil aux Marocains du monde, mais ce dispositif demeure insuffisant », car il demeure limité aux postes frontières. Désormais, les expatriés marocains sont d’une autre nature, d’une autre démographie, d’une tout autre qualification et dotés de fortunes pouvant être captées pour doper l’investissement national.

D’où l’idée de la Fondation Mohammadia, qui ne serait plus chargée de l’accueil, mais du « post-accueil », lequel comprend l’économique et l’administratif, mais aussi et surtout la mobilisation des compétences marocaines de l’étranger. La Fondation Mohammadia devra gérer le Mécanisme de mobilisation des compétences, et c’est là que réside la nouveauté de la chose. Des dizaines de milliers de médecins, ingénieurs, informaticiens, économistes, chercheurs en tous genres, investisseurs… marocains essaiment de par le monde, tous (ou presque) attachés à leur pays d’origine ou de naissance.

Le roi l’a compris, et a agi en conséquence. Le gouvernement, pas encore.

Qui, au gouvernement, est en charge de cette question ? Le ministère des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, et donc Nasser Bourita. Le ministre est en charge à temps plein de la diplomatie et on ne peut que considérer ses succès successifs et toujours aussi plaisants ; de même qu’en matière de coopération africaine, et à travers l’AMCI entre autres, le Maroc fait honneur à sa volonté de renforcer la coopération entre Africains. Pour les MRE, et en dehors des mesures consulaires prises, et réellement efficaces (à quelques exceptions qui confirment la règle), on ne voit encore rien venir.

Il y a la question de la nature de la présence de la question des Marocains du monde au sein du gouvernement. Depuis les années 90, cette présence joue au yoyo, tantôt ministère délégué auprès des AE, tantôt auprès de la Primature, tantôt rien, le tout sous l’œil vaguement attentif du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, créé fin 2007. Or, « la communauté » s’est dans l’intervalle transformée en « communautés », plus diversifiées, plus dispersées sur le globe, plus instruites, plus féminines et bien plus instruites, donc plus exigeantes. Elles mériteraient bien un ministère plein : imaginez, 15% de la population et 8% du PIB, plus que le tourisme…

Dans son « acte de naissance », tout a pourtant été prévu pour le CCME. Passons sur tout ce qu’on peut reprocher à cette institution, à ses quelques Unes dans la presse, et à sa tutelle gouvernementale et contentons-nous de dire que l’action des deux, ministère et Conseil, est désormais bien en-deçà des attentes. D’où le premier discours du roi, puis le second. Puis l’attente, toujours. Ce qu’il s’est passé depuis novembre 2024, ce sont deux ou trois réunions avec MM. Akhannouch et Bourita, et c’est tout. Sauf si on ne nous dit pas tout !...

Dans l’attente, les Marocains d’Amérique du Nord restent éloignés de leur pays, par la force du prix du billet d’avion, le Maroc reste amputé de ses milliers de médecins et d’ingénieurs volontairement (et souvent désespérément) expatriés, les transferts des Marocains d’Europe restent attendus par le pays, la question électorale des MdM est toujours posée... Quand on considère la chose, ces cerveaux sont une véritable ressource naturelle d’une immense valeur dont nous acceptons de nous défaire moyennant 120 milliards de DH.

En effet, ce sont 6 millions de nos compatriotes à être (parfois sans être) à l’étranger, avec leurs compétences offertes à leur pays d’accueil et leurs transferts de 120 milliards de DH, on ignore combien ne sont même pas inscrits sur les registres consulaires, et on attend toujours avec philosophie une nouvelle structuration de la politique publique à destination des MdM.

Avec philosophie et un zeste d’impatience, car pour l’instant, seule la qualité de l’accueil et quelques mesures réglementaires sont tangibles.

Aziz Boucetta



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