(Billet 1167) - Sahara, l'avalanche !

En ce doux et chaud après-midi d’un dimanche pré-estival, la nouvelle est tombée, glissant des uns aux autres par la grâce des « messages transférés plusieurs fois », des SMS, des partages, des appels téléphoniques… Le Royaume-Uni reconnaît la marocanité du Sahara ! Enfin, pourrait-on dire, quoiqu’en réalité, pas tout à fait, mais c’est tout aussi bien. Après la France qui a sauté le pas, les Etats-Unis qui ont confirmé leur saut et daba le Royaume-Uni qui saute aussi, et de justesse, dans le train qui prend déjà de la vitesse, la question du Sahara prend l’allure d’une avalanche.
Le Royaume-Uni est donc le 3ème Etat membre permanent du Conseil de sécurité à s’aligner sur la position du Maroc. Reconnaît-il le Sahara comme partie intégrante du Maroc, comme la France ou les Etats-Unis ? Non, pas vraiment, mais le chef de la diplomatie britannique est venu un dimanche de juin à Rabat pour déclarer que son pays « considère la proposition d’autonomie, présentée [par le Maroc] en 2007, comme la base la plus crédible, viable et pragmatique pour un règlement durable du différend (…), et continuera d'agir sur le plan bilatéral, notamment en matière économique, ainsi que sur les plans régional et international, conformément à cette position, afin de soutenir le règlement du différend ». S’en suivent une mention sur l’ « urgence » à régler cette question, rappelant les propos de Marco Rubio et de Staffan Da Mistura, puis sur la nécessité « de faire avancer les choses », évoquant ici les termes de l’ambassadeur de France à l’ONU en octobre dernier. Les Anglais s’arriment quand, comme et à qui ils peuvent, sentant les choses leur échapper et pressentant les avantages à suivre leurs alliés occidentaux.
Après des dizaines de pays reconnaissant explicitement la marocanité du Sahara et près de 120 louant la proposition marocaine comme « bonne base de règlement », voilà que grossissent les rangs des Etats qui la pensent comme « la seule et la plus pertinente ». Puis la France s’est ajoutée, importante au regard de son passé dans la région, après les Etats-Unis, importants tout court, et ensuite, récemment, le Kenya, dont l’importance sur le continent africain et au-delà est connue. La diplomatie marocaine a imprimé une allure d’avalanche à son rythme.
Que fait une avalanche ? Elle part d’un éclat de tonnerre ou d’une quelconque déflagration, grossit à mesure qu’elle dévale sa montagne, rafle tout sur son passage et effraie, ou au moins impressionne les autres qui regardent. Pour l’avalanche diplomatique concernant le Sahara, la déflagration avait pris la forme du désormais fameux tweet de Donald Trump le 10 décembre 2020 ; puis l’avalanche a « englouti », englobé, nombre d’Etats de par le vaste monde, les raflant au passage ; et, enfin, les pays qui restent sur leurs positions d’antan ou qui se montrent indifférents sont de plus en plus portés par l’élan, impressionnés par la qualité des capitales qui se rapprochent de Rabat. Il est certes vrai qu’utiliser une parabole neigeuse pour le Sahara est assez étrange, mais cela vaut mieux qu’un mirage…
Tout cela, il faut le reconnaître, est le fruit du travail, de l’organisation, de l’imagination et de la constance de la diplomatie marocaine. Lui, s’en défendra bien évidemment mais Nasser Bourita est la cheville ouvrière de cet éclat diplomatique. Le changement de doctrine de son ministère, il était derrière ; la diplomatie offensive, c’est lui ; la stratégie des consulats, c’est encore lui ; l’Accord tripartite, c’est toujours lui ; la formation, la polyvalence et le plurilinguisme des diplomates, c’est encore et toujours lui. Hors Abdellatif Filali, qui avait un statut particulier, M. Bourita sera le ministre des Affaires étrangères qui sera resté le plus longtemps en fonction, et il l’est toujours.
Maîtrisant ses dossiers, bourreau de travail, portant fidèlement la vision stratégique dessinée au plus haut niveau de l’Etat, architecte de la nouvelle structure du ministère, Nasser Bourita est, avec Moulay Ahmed Laraki et Mhamed Boucetta, le ministre qui aura imprimé sa marque à sa fonction et qui aura conduit la très forte avancée de la cause nationale du Sahara, sachant se rendre indispensable.
Au moment où les choses s’accélèrent en effet, que le Royaume-Uni vient s’ajouter aux soutiens du Maroc et que le Kenya frappe un grand coup de pied dans la fourmilière diplomatique africaine, ce ne serait donc que justice que rendre hommage à M. Bourita, à M. Omar Hilale – le guerrier envoyé par Rabat à l’ONU voici 11 ans déjà –, et à tous les diplomates en ambassade ou à l’administration centrale qui n’aiment pas voir leurs noms dans les médias… Il s’agit peut-être là d’une défaillance de notre diplomatie, la verticalité doublée d’autorité qui règne au ministère, compliquant toute prise d’initiative ; une défaillance ajoutée à l’absence de politique publique explicite concernant notre sans cesse croissante communauté à l’étranger, en dépit des appels répétés du roi Mohammed VI pour mettre en place structure et mécanisme.
Aujourd’hui, l’affaire du Sahara évolue dans le bon sens, et vite. Mais de la même manière que le monde évolue, que les cadres géostratégiques changent et mutent et que les enjeux nouveaux apparaissent, il appartient à notre diplomatie de s’ouvrir un peu plus sur la société civile et la classe politique, comme cela semble être le cas depuis quelques semaines pour les partis (nous y reviendrons). Et de la même manière aussi que cette diplomatie aura fort à faire pour calmer les ardeurs et tempérer les appétits, bien évidemment, des grandes puissances qui ont épousé les positions marocaines, en œuvrant à ne pas oublier l’Espagne qui a été la première après les Etats-Unis à franchir le pas, et aussi en calculant et en calibrant les faveurs faites à Paris qui semble vouloir tout prendre.
Dans l’attente, ne gâchons pas notre joie et félicitons-nous des progrès réalisés dans notre affaire nationale. Le 50ème anniversaire de la Marche verte devra être une occasion de régler définitivement cette question. Nous l’espérons du moins, mais nous sommes sur la très bonne voie !
Aziz Boucetta