(Billet 1147) - Les saines mais vaines colères de M. Lekjaâ

(Billet 1147) - Les saines mais vaines colères de M. Lekjaâ

Fouzi Lekjaâ est un homme très occupé, il gère à peu près tout dans le pays. Il est ministre du Budget donc en charge des sous et des dessous, il dirige le foot national donc des centaines de millions de dirhams et des centaines de milliers de supporters, il conduit la préparation de la CAN 25 et du Mondial 2030. Il est très occupé et ne peut donc légitimement pas tout contrôler. Alors, lui qui sait presque tout, il peut lui arriver de légitimement s’énerver sur certaines choses, mais son agenda ne lui permet pas de suivre ses humeurs…

1/ Qatar, 2022. Tout le monde se souvient du scandale des billets pour le Mondial 2022 au Qatar. Cette année-là, en marge du succès planétaire des Marocains, s’était déroulée une autre spécialité de certains de nos responsables de foot, le trafic en tous genres et des billets en particulier. De retour au pays, le président de la Fédération Fouzi Lekjaâ avait tenu une réunion solennelle de « sa » Fédé et avait promis les pires châtiments aux indélicats. Las… quelques semaines plus tard, de report en report, de tergiversation en hésitation, la montagne a accouché d’une souris et il n’y eut jamais de véritable révélation, enquête, procès ou instruction, et sanctions prises, à la mesure des faits.

2/ Les médicaments, ses prix, son industrie. « Il y a de l’ordre à mettre dans le Médicament », tonna Fouzi Lekjaâ, un jour de janvier 2025 alors qu’il conférait à la CGEM. Juste avant, il avait expliqué qu’ « il est inadmissible que la différence entre la déclaration du prix du médicament en douane et le prix affiché en officine soit de 300% !... et il est aussi inadmissible que le médicament soit une niche pour faire du 30 ou 40% ! ». En effet, M. le Ministre... Et la colère de M. Lekjaâ n’était pas soudaine ou momentanée ; en novembre 2024 déjà, au parlement, il expliquait que « certains médicaments sont importés depuis dix ans à un prix initial de 10 DH, mais se retrouvent vendus au Maroc à des tarifs exorbitants, pouvant atteindre 70 ou 80 DH ». Le ministre/président a déclaré que lui et ses équipes avaient décidé de mettre en pause les discussions avec la profession, attendant que l’Agence du médicament, nouvellement créée, s’installe et se structure. Dans l’intervalle, cela ne dérange nullement Fouzi Lekjaâ de savoir que des médicaments sont vendus avec des marges aussi scandaleuses qu’il le dit lui-même.

3/ Paris illégaux infiltrés dans l’industrie nationale des jeux. Les paris sportifs ont une éthique et des codes de fonctionnement, et le Maroc y sosucrit et s’y inscrit. Mais voilà qu’une société privée, étrangère, opère aussi, s’étant invitée dans le royaume en empruntant le chemin sinueux et opaque du net. Cette société s’appelle 1XBET et viole le monopole de l’entreprise publique. En charge du foot, Fouzi Lekjaâ a déclaré que cette société opère illégalement sur le territoire national. « Il incombe à notre responsabilité collective de contester les activités de cette entreprise », martèle Ssi Lekjaâ, qui dispose pourtant de tous les leviers. Mais nous sommes un pays à deux vitesses, où un ministre patron du foot national dénonce l’illégalité de l’activité d’une entreprise, mais une entreprise dont nous voyons les logos sur les maillots de l’une des plus importantes équipes de foot, sur les panneaux d’affichage en ville, sur les panneaux des terrains de foot lors des matchs… Et pourtant, c’est dangereux pour la santé mentale, financière et même physique des parieurs non informés ; et pourtant, aussi, l’Etat marocain est signataire de la Convention de Macolin contre les paris sportifs illégaux, qu’il respecte donc peu, ou pas... L’Etat est supposé protéger les citoyens, M. Lekjaâ est un grand commis de l’Etat, mais les citoyens sont en danger avec 1XBET… cherchez l’erreur… et espérons une autre mauvaise humeur de Ssi Fouzi.

4/ Les prix des viandes. Là, pour cette affaire, le ministre du Budget ne s’est pas mis en colère mais a reconnu une erreur, lui qui en janvier 2024 s’était fendu d’une longue communication au conseil de gouvernement, défendant avec assurance et fermeté cette histoire de subvention directes et indirectes. Las… un an après, force est de constater que cette politique a fait pshiiit, puisque même la majorité demande une mission exploratoire. Ssi Lekjaâ s’est contenté donc de lâcher au parlement que « le gouvernement a lancé cette initiative en 2023 et 2024 pour renforcer l’offre en ovins, mais elle s’est avérée inefficace pour atteindre les objectifs visés ». Iwa ? Iwa, c’est tout ! Le Maroc peut certainement s’offrir une erreur à plus de 10 milliards de DH, sans que cela ne dérange outre mesure le ministre du Budget.

 

Quatre colères saines, donc, mais vaines aussi, qui n’auront débouché sur rien de tangible et de probant. Comme dit au début, M. Lekjaâ, dont la compétence n’est absolument pas remise en question, gère tellement de choses qu’il ne sait plus où donner du sifflet, quand sortir un carton jaune et à quel moment en asséner un rouge. Mais cet homme étant très certainement et sans ironie aucune sincère, il devrait trouver des solutions à ces problèmes de médicaments trop chers, d’opérateurs de jeux trop libres, de responsables de foot trop douteux et de prix de viandes tout simplement insupportables. Parlement et justice sont instamment attendus.

Aziz Boucetta



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