(Billet 1181) – Algérie et Israël, les deux points noirs de la Méditerranée

L’idée d’Union pour la Méditerranée (UpM), lancée par Jacques Chirac sous la forme du Processus de Barcelone puis reprise par Nicolas Sarkozy en 2008, était une approche intéressante de nouvel ensemble régional et ô combien symbolique mais aussi ô combien difficile à mettre en place. En effet, deux continents, plusieurs cultures, de nombreuses langues, trois religions, et une multitude infinie de problèmes et de questions en suspens. Quand l’idée avait été avancée par Paris, l’affaire semblait mal partie, et elle était de fait mal partie, malgré les réunions, les longues bafouilles et les bruyantes autocongratulations... Mais le problème et la question sont ailleurs, ils résident dans deux pays, que sont Israël et l’Algérie.
Les tourments occasionnés par ces deux Etats dans leur voisinage, et même plus loin, sont la véritable raison de l’inertie de ce groupement régional qui regroupe plus d’une quarantaine de pays, ceux de l’Union européenne et les pays de la rive sud et est de la Méditerranée. L’Algérie voue une haine tenace et obsessionnelle pour le Maroc, pourtant pièce maîtresse de cet ensemble régional en gestation, et entretient une incommensurable condescendance pour les pays de son flanc sud, et Israël entretient une relation hostile, agressive et martiale à l’égard de son entourage arabe, qui lui rend son animosité.
Tant que ces deux Etats existent et vivent sous leur forme actuelle, toute volonté de construire une union méditerranéenne est vouée à l’échec. Et voici pourquoi.
Les parias. Les deux pays, en effet, sont dirigés par des parias de la communauté internationale. Pour des raisons différentes certes, mais parias quand même. Benyamin Netanyahou est désormais officiellement un criminel, puisque la justice internationale le réclame à travers la CPI qui a délivré un mandat d’arrêt contre lui. Et quand on sait l’étendue de l’influence d’Israël, on mesure la gravité de ce mandat et surtout sa pertinence. Abdelmajid Tebboune, lui, n’est recherché par personne, car n’étant pas très important, mais son pouvoir de nuisance est grand. Les deux hommes, Netanyahou et Tebboune, ne sont plus reçus par personne, à l’exception de Trump, Modi et Orban pour le premier, Poutine (quand il a le temps), Haitam d’Oman et Saïed pour le second.
Prééminence de l’armée et des services. Les deux pays sont gouvernés par leurs armées et services de renseignements, sacralisés à l’envie et intouchables à jamais. La raison en est que ces deux pays – autre similitude – sont de création récente, qu’ils ont été incrustés par les Occidentaux là où ils sont, qu’ils se sentent en conséquence menacés par leur voisinage car ils y sont considérés comme des corps étrangers. L’analogie entre Algérie et Israël est d’autant plus soulignée aujourd’hui que les deux régimes s’appuient sur leurs armées et services pour faire fonctionner leurs économies.
Origine et ressentiment. Les deux pays sont nés de la main des deux grandes puissances coloniales européennes, la France pour l’Algérie et la Grande-Bretagne pour Israël (la Déclaration Balfour), et malgré leur « indépendance », terme impropre utilisé par les deux pays pour désigner ce qui est en réalité leur création, Algérie et Israël nourrissent un fort ressentiment contre l’Europe, l’Occident, le monde. Les Juifs d’Europe, avant même la Shoah, ont été pogromisés des siècles durant, et les populations algériennes ont été lobotomisées pendant 132 ans par les Français. D’où le ressentiment inextinguible qui se transmet de génération en génération..
Mentalité d’assiégé. Les deux pays nourrissent et entretiennent une mentalité d’assiégé et vivent dans le cauchemar de leur effondrement, voire de leur disparition ; leurs dirigeants se trouvent toujours dans les excès et les positions extrêmes, justifiant leurs actes par la peur de leur extinction. Le terme « existentiel » revient souvent dans les discours des dirigeants d’Israël et d’Algérie.
Positionnement géographique. Les deux pays sont situés aux extrémités de la mer Méditerranée, près de ses deux détroits, la mer d’Alboran et Gibraltar pour Alger et la mer rouge et Suez pour Israël, et les deux pays, sans influence sur ces voies de passage, œuvrent pour y devenir plus actifs, plus présents. Mais les positions marocaine, britannique et espagnole à l’ouest, et saoudienne et égyptienne à l’est tiennent les deux pays et leurs armées à distance.
Rupture avec l’hinterland. Les deux pays ont causé le chaos dans leurs hinterlands respectifs, entretenant des relations chahutées avec leurs voisins et réprimant dans le sang des peuples constitués vivant sur leurs territoires, les Kabyles pour l’Algérie et les Palestiniens pour Israël. Quant aux voisins, c’est à l’avenant : Alger entretient des relations « normales » avec deux seulement de ses six voisins, la Mauritanie et la Tunisie, et Israël est en guerre ouverte avec deux de ses voisins et en conflit larvé avec les deux autres.
Versatilité diplomatique. Les deux pays sont dirigés par des Etats peu fiables, qui prennent des décisions ou des engagements qu’ils ne tiennent pas ou sur lesquels ils reviennent selon leur humeur. Avec Netanyahou et la question palestinienne, les exemples sont légion, dire une chose et penser puis agir dans le sens inverse. Et pour Tebboune, c’est à l’identique, concernant la Libye ou le Mali. Pour le Maroc et son Sahara, au moins, on peut « saluer » la régularité d’Alger.
Dictatures. Les deux pays se présentent comme des démocraties populaires, mais répriment leurs peuples. Cela était discret avant, mais depuis quelques années, c’est flagrant. L’Algérie emprisonne ses opposants à tour de bras, distribuant allégrement des dizaines d’années de prison, et Israël, sous couvert des médias occidentaux qui camouflent et dissimulent les faits, se pose en « démocratie », emprisonne certes peu ses citoyens, mais conduit des actions de dénigrement et d’opprobre sociale contre tous ceux qui appartiennent au camp de la paix, traités tour à tour de traîtres, voire de terroristes. Et avant le carnage de Gaza, Netanyahou œuvrait à placer la justice sous la coupe de l’exécutif.
Dirigeants corrompus. Les deux pays sont dirigés par des personnes soupçonnées de corruption, directement ou à travers leurs familles proches. A Alger et à Tel Aviv, les moyens de se défendre des deux dirigeants sont différentes mais vont dans le même sens : pas de justice en Algérie et une justice aux ordres en Israël.
Tant qu’Israël sera protégé et couvé par ses géniteurs occidentaux et tant que l’Algérie sera couverte par son protecteur russe et bénéficiera de l’étrange complaisance française, les choses resteront comme elles sont aujourd’hui, sans espoir de changement. Les deux pays représentent pour leurs « parrains » des points d’appui, en Afrique pour l’Algérie, au Moyen-Orient pour Israël.
Ainsi, toute action de l’UpM demeurera vouée à l’échec, malgré les discours, les agapes, les ambitions et les programmes. D’autres problèmes existent certes, d’autres écueils se dressent également face à une véritable émergence de l’UpM, mais l’avenir de ce qu’on appelle parfois le continent méditerranéen reste tributaire de changements institutionnels en Israël et en Algérie. Les deux Etats, les deux peuples, méritent de vivre, mais en bonne intelligence avec leurs voisins, en bonne intelligence tout court.
Aziz Boucetta