(Billet 1178) – Le joker Istiqlal

(Billet 1178) – Le joker Istiqlal

Pour tout connaisseur de la chose politique marocaine, de son histoire et de ses histoires, qui observerait la présence du parti de l’Istiqlal à l’actuelle majorité, la question jaillirait d’elle-même : mais qu’est-il parti faire dans cette galère gouvernementale ? En 2020, un an avant ces désormais fameuses élections de 2021, l’Istiqlal communiait avec le PPS, ce qui est logique, et avec le PAM aussi, ce qui l’est moins. Douze mois après, les principes avaient changé, les intérêts avaient évolué et les perspectives s’étaient figées.

Rien, en effet, ne peut lier ni même rapprocher une formation aussi ancienne et aussi chargée de mémoire que l’Istiqlal d’une part et, d’autre part, un parti comme le RNI né dans les conditions qu’on sait et évoluant aujourd’hui de la manière qu’on voit. Rien ne peut expliquer l’alliance de celui qu’on appelait jadis « al hizb » (avec le préfixe al pour l’unicité) avec celui qui entre dans la définition du « hizbicule » (la paternité du mot se perd entre Abderrahim Bouabid, Mhamed Boucetta et Driss Basri). Et pourtant, cette union contre nature a duré de 1998 à 2013, puis depuis 2021.

Et c’est la phase récente qui choque le plus. Ou devrait choquer car depuis le début du siècle, l’Istiqlal privilégie davantage l’intérêt à l’intellect, et les courants au sein du vieux parti se fondent plus sur l’influence et l’opulence que sur la culture et l’appartenance. En un mot, sur les notables et les clans familiaux. Au sud, au nord, à l’est, l’Istiqlal est désormais à l’ouest. Il aura accusé un retard de près de trois ans pour tenir son congrès sans que cela ne dérange personne, et la désignation du Comité exécutif aura attendu six mois sans que nul ne s’en offusque.

Et le reste, à l’avenant… Le parti de l’Istiqlal aligne, comme les autres, ses élus indélicats, les uns en instance de jugement, les autres jugés et condamnés, et certains en prison. Le parti de l’Istiqlal abrite, comme les autres, ses harceleurs et autres gifleurs. Et le parti de l’Istiqlal, comme les autres, s’appuie sur ses potentats locaux qui placent leurs amis, protègent leurs alliés et repoussent les nouveaux talents désireux d’intégrer les rangs des militants. Si militantisme il y a encore dans ce parti, bien évidemment…

Et à la tête de la pyramide, Nizar Baraka. A-t-il démérité ? Pas sûr. S’est-il compromis ? Non. Alors pourquoi les choses sont-elles ainsi ? La réponse réside dans le fait que l’Istiqlal évolue comme la société marocaine, dans une sorte de perte de repères, d’errance doctrinale et d’errements personnels. Pour rendre justice à M. Baraka, reconnaissons-lui le mérite d’avoir conduit la très difficile tâche de « déchabatiser » le parti puis l’encore plus ardue mission de diriger le parti avec les clans âpres au gain, certains de type sicilien, qui lui ont permis de tenir le gouvernail de sa formation.

Mais alors, pourquoi Nizar Baraka a-t-il accepté de s’incliner devant Aziz Akhannouch et son RNI, en participant à sa majorité puis à son gouvernement ? Peut-être que l’idée lui est venue en puisant dans l’ADN de son Istiqlal, qui a de tous temps refusé la logique de la chaise vide… Peut-être que le principe lui a été imposé par les siens, tous rêvant d’un destin ministériel… peut-être, plus prosaïquement, a-t-il été atteint par le syndrome Jeanne d’Arc et ses voix venues d’ailleurs…

Pour autant, le parti de l’Istiqlal demeure le joker dont dispose le Maroc pour afficher une scène politique qui ferait honneur au pays et, plus que cela, pour diriger un gouvernement qui sait où il va et ce qu’il dit. Constatons, d’abord, que lors de la formation du gouvernement Akhannouch I en 2021, Nizar Baraka avait aligné des profils inconnus du grand public istiqlalien, comme MM. Mezzour et Abdeljalil ou Mme Hiyar, et même s’il s’est « rattrapé » lors de ce qu’on a abusivement appelé un remaniement en octobre 2024, en appelant des caciques du parti, la tendance est là : M. Baraka sait puiser dans le réservoir des talents que lui offre la société.

Si, en matière d’ancrage doctrinaire, l’Istiqlal appartient au camp conservateur, il n’en va pas de même pour son approche économique et sa connaissance des grands enjeux du moment, diplomatie comprise. Il s’appuie pour cela sur la pépinière de talents et d’idées qu’est son Alliance des économistes et aussi sur la formation, l’expérience et l’irréprochabilité de son secrétaire général.

Mais alors, pourquoi ni ce secrétaire général ni ce parti ne réussissent-ils pas encore à recruter des profils jeunes ou moins jeunes dans l’armée de réserve de responsables potentiels qui ne font pas confiance à la sphère politique et qui s’en tiennent prudemment à l’écart ? Pourquoi a-t-il eu, a-t-il et vraisemblablement aura-t-il toutes les difficultés du monde à trouver des candidats issus de la société civile, instruits, imaginatifs et intègres ? Pourquoi laisse-t-il aujourd’hui l’avantage au RNI, qui a déjà commencé sa campagne électorale à travers ses tournées plus Crésus que Midas, et au PAM, qui y est allé aussi, même à bas bruit ? La réponse tient dans le dicton « faire du neuf avec du vieux », dans le sens de vouloir séduire de nouveaux profils en maintenant les anciens à leur place ; et on sait bien que l’entreprise est difficile.

Et, grande question, à laquelle ceux qui restent de Marocains à avoir « envie » de politique aimeraient avoir une réponse, pourquoi n’a-t-il pas d’ores et déjà esquissé une initiative de type Koutla qui, cette fois, pourrait être une « Koutla yassaria », une Koutla de gauche ratissant large auprès de la mouvance progressiste de la scène politique ? Oh, il est vrai que prôner l’alliance entre un conservateur et des gens de gauche pourrait paraître contradictoire, mais n’est-ce pas ainsi qu’est le Maroc ?

Le parti de l’Istiqlal, s’il sait attirer les gens de bien qui se tiennent à l’écart de l’opération politique, et s’il sait fédérer les partis de gauche, restera le joker de ces élections 2026. S’il sait y faire, s’il veut y faire, s’il peut y faire… Et ceux qui y verraient un danger pourraient eux-mêmes être ce danger.

Aziz Boucetta



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