(Billet 141) – Viols et violence, vidéos et voyeurisme

Ici, on égorge une jeune touriste scandinave, là, on viole une femme de la manière la plus abjecte qui soit… ailleurs, on tue 50 personnes comme au stand de tir… Le phénomène s’étend, pas celui de la violence qui, malheureusement, est consubstantielle aux humains, mais celui de son « immortalisation » par l’image. Faut-il montrer, et donc regarder, ces images, ou non ?
Après avoir été bouleversé par la vidéo de la décapitation de la jeune Scandinave à Imlil en décembre dernier, le Maroc est aujourd’hui secoué par les images du viol ignoble de la jeune femme à Salé (décédée depuis). Dans les deux cas, des appels ont été lancés pour ne pas visionner ces scènes. On passe du politiquement correct au « visuellement » correct. Cachez ces images que je ne saurais, ni ne devrais, voir…
Notre monde a changé, ses crimes et ses criminels aussi. La violence est omniprésente, dans les films et dans les jeux, dans la rue et dans les esprits, et elle frappe tout le monde, dans tous les sens du terme. Pour notre malheur, la violence est devenue intimement liée à notre monde d’aujourd’hui. Il serait inopportun, voire dangereux, d’occulter cette réalité. Et puisque la violence est là, réelle, elle ne doit pas être laissée virtuelle. Il faut la concevoir autrement, en changeant.
C’est en montrant ses images odieuses que Daech a suscité le rejet et l’écœurement universels, bien plus que les scènes de carnage des attentats « classiques » d’al-Qaïda. Moins violentes, mais tout aussi ignobles, les images des enfants séparés de leurs parents et placés dans des cages, aux Etats-Unis, ont pourtant contribué à faire reculer le très abrupt M. Trump ! Et ici, au Maroc, la décapitation de la jeune touriste scandinave et les images odieuses du viol par objets de Hanane a remué la société, et a conduit au lancement de pétitions. Il en a été de même pour l’affaire dite des jupes d’Inezgane, ou des tentatives de viol dans le bus à Casablanca ou encore à Benguérir… Plus que le « dire », c’est désormais le « montrer » qui fait bouger les sociétés, notre société.
Le sens direct qu’est la vue interpelle, confère sa lourde réalité à la violence, et fait réagir. Sans cela, elle demeure virtuelle, et continuera de s’étendre et de s’élargir, jusqu’au moment où elle nous submergera. Tout comme l’autruche qui enfouit sa tête dans le sable et laisse ainsi le danger l’atteindre, puis l’emporter.
Bien évidemment, il y aura du voyeurisme, mais les voyeurs, d’une façon ou d’une autre, trouveront matière à assouvir leurs déviances. Une période de transition devra être assurée et assumée, avant que l’humain n’apprenne à traiter et à se comporter de la manière idoine avec cette violence. Ne pas l’accepter, la rejeter, mais la combattre… et c’est en la sentant dans le réel que l’action pourra être à son tour effective. La violence se combat par l’esprit plus que par l’acte, par la dissuasion plus que par la répression, qui n’intervient qu’en dernier ressort.
Aziz Boucetta