(Billet 164) – Quand la foi entre dans la loi, le droit en sort...

La société civile marocaine est hardie, parfois intrépide, souvent pugnace, toujours mobilisée… mais un peu brouillonne. Elle passe son temps à ferrailler contre les travers, mais souvent à revers du bon sens, faisant erreur sur la cible. Ainsi du cas de Hajar Raïssouni et de l’article 490, ou encore d’autres articles du Code pénal ou autres interdits.
Cela fait maintenant trois, trop de semaines que Hajar Raïssouni et quatre autres personnes sont incarcérées alors même que leur procès se tient, et est reporté d’audience en audience. Ces cinq personnes sont en prison, même si elles ne constituent pas vraiment un danger pour la société et ne peuvent suborner aucun témoin puisque le dossier médical dit tout ce qui doit être su, mais passons… Alors quand les militants font le pied de grue devant le tribunal de Rabat et font des pieds de nez aux juges, hurlant la liberté de disposer de son corps, le combat est mauvais car il se trompe de cible.
Mais laissons là Mme Raïssouni et ses compagnons d’infortune, et allons au bistrot. Lorsqu’un pilier de bar sort, imbibé d’alcool ou de vin ou de bière, mais digne et droit comme une bouteille, et qu’il est contrôlé par des agents, il risque la prison pour consommation de produits alcoolisés, car il est interdit à un musulman digne de ce nom de téter la dive… Et pourtant, l’Etat octroie des licences aux estaminets, boîtes de nuit et autres bars plus ou moins mal famés, en parfaite connaissance de la foi de leurs clients allant même jusqu’à placer la maréchaussée à la porte de ces établissements ! Et idem pour les fumeurs de cannabis, qui risquent l’embastillement alors même que les douanes autorisent l’importation de papier cigarette qui ne sert que très rarement, voire exceptionnellement, à rouler des cigarettes.
Or, les relations sexuelles sont interdites, en dehors de l’acte de mariage, l’absorption d’alcools est tout autant prohibée, pour cause de religion, et la fumette est illégale, car telle est la volonté de la loi et des faiseurs de lois… Alors que tout cela est allégrement commis ou consommé par les populations, rigolardes, quoique prudentes et méfiantes.
Le problème est qu’une loi soit bonne ou mauvaise, elle reste une loi et le juge est tenu de l’appliquer. C’est donc devant le parlement que les défenseurs des libertés doivent manifester, le parlement devant lequel personne pourtant ne proteste. Oh certes, notre parlement n’est pas très frais, ses membres sont souvent bourrus et son fonctionnement est laborieux, mais c’est là que se font et se défont les lois. La constitution donne droit aux gens d’élaborer des motions législatives pour changer ces lois.
Il faut pour ce faire 25.000 signatures identifiées. Le Maroc abrite bien plus que 25.000 personnes pour dépénaliser le cannabis, du moins dans sa production et pour autoriser la consommation d’alcool, pour peu que l’ordre public soit préservé. Quant à l’amour, en insistant un peu, on peut même obtenir les signatures des députés sur la motion… Il faut juste que la société civile choisisse bien ses combats, et les armes (légales) qui vont avec.
Comment continuer à glapir, en y croyant, l’existence de l’Etat de droit alors que l’Etat tolère le non-droit et que ses citoyens vivent si bien en dehors de plusieurs lois ? Miracles et merveilles du royaume de Maroc.
Aziz Boucetta