(Billet 172) – Hajar, ou les libertés entre le combat et le branle-bas

Et finalement, après un mois de tensions et de crispations, de points de vue et de poings levés, Hajar Raïssouni et ses co-inculpés ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Mais le jugement rendu n’est pas plus définitif que les prises de positions des « progressistes » ne devraient l’être. La bataille juridique, et non judiciaire, ne fait que commencer… le moment est propice et la fenêtre de tir est largement ouverte.
Après l’éclatement de l’affaire, début septembre, deux camps de « résistance » ont surgi : celui qui accuse l’Etat autocratique, communément appelé Makhzen, d’être liberticide, et celui qui dénonce le maintien de lois rétrogrades, comme cet article 490 ; la posture politique versus la posture juridique. Or, on ne peut lutter contre ce qui n’est pas prouvé, à savoir l’argumentaire du premier camp, alors même que l’autre camp a face à lui un boulevard, une autoroute, pour faire évoluer la loi qui, elle, et sur ce point des libertés sexuelles, est effectivement liberticide.
La société civile attend du juge qu’il interprète la loi, ce qu’il ne fera pas, par conservatisme et conviction ou simplement par pusillanimité. Et quand bien même ce serait le cas, la jurisprudence en droit marocain n’est pas contraignante car elle n’est pas reconnue comme source directe du droit. Il n’appartient pas aux juges de changer la loi, tout au plus de l’interpréter. En outre, si on ouvre cette possibilité de jurisprudence aux juges, dans notre société singulièrement conservatrice, cela pourrait être demain source de dérapages judiciaires qui iraient à rebours de l’objectif initial de « modernisation », avec l’instauration d’un « Etat des juges » éminemment dangereux.
Aujourd’hui, au Maroc les planètes sont alignées, du fait de la convergence des positions des « progressistes » et des « conservateurs », des francophones et des arabophones, autour d’un même objectif, la liberté individuelle. Les Raïssouni, Maelainine et autres Benkirane ont pris position, plantant le dernier clou dans le cercueil du 490. Il serait tellement utile que les autres enfoncent ce clou, car ils ne seront pas contrés par les « islamistes », tout au plus des excités bigots, ultras de la religion.
Il est important de ni se tromper de combat, en attaquant l’Etat, ni d’aller trop vite, en réclamant aussi la dépénalisation de l’homosexualité et de l’avortement. Et comme la loi 64-14 confère aux citoyens l’initiative législative, l’action à mener est désormais claire. 7.000 signatures pour le Manifeste « hors-la-loi », plus la position du PPS et celle d’Omar Balafrej de la FGD, plus enfin l’attitude des médias… tout cela pourrait aisément mobiliser 25.000 citoyens pour déposer une motion juridiquement valable au parlement. Contrairement à jadis, aujourd’hui la loi permet aux citoyens de la combattre, puis de la changer. Combattons-la, et changeons-la, légalement, par la combinaison utile des efforts de l’intellectuel, du militant et du politique !
Si on échoue à regrouper 25.000 personnes pour agir dans ce sens, alors cela signifie que le 490 mériterait d’être maintenu, et la pensée du Moyen-âge aussi ! Mais si, à l’inverse, la motion est valablement déposée au parlement et que les élus la rejettent, ou même l’ignorent, malgré le forcing et le lobbying, alors il y aurait des raisons aussi sérieuses qu’objectives à l’abstention en 2021. La société ne doit plus s’agiter, mais agir, et ses membres doivent être sûrs, mûrs et, au besoin, durs…
… Sans prendre éternellement l’étranger à témoin. Pour Carlos Ghosn, pour Lula, pour Julian Assange, les lois et les jugements sont iniques et l’acharnement est unique. Mais ces cas ne mobilisent pas l’opinion internationale contre les justices souveraines, car les relais nationaux se suffisent à eux-mêmes, dans la contestation, puis dans l’action, et surtout dans le barrage à l’ingérence extérieure !
L’affaire Hajar Raïssouni est aujourd’hui un test de la maturité de l’opinion publique et de la société civile. Attaquer l’Etat bille en tête nous ramènerait 20 ans en arrière, agir avec les moyens légaux nous projetterait 20 ans en avant ! Il serait dommage que le calvaire des cinq condamnés dans cette affaire ne se réduise à ressusciter les anciens combats contre l’Etat alors même qu’il pourrait servir à montrer la force de la loi et la puissance de la société, qui se mandaterait pour un amendement qui pourrait prendre le nom de « amendement Hajar Raïssouni ».
Cela étant, il ne faut quand même pas oublier le remaniement gouvernemental, l’appel aux compétences et le modèle de développement…
Aziz Boucetta