(Billet 180) – La fonction de ministre, pour les nuls…

Le gouvernement est donc formé, remanié, mis en place. C’est très bien. Maintenant, il faut que les 24 se mettent au travail, vite et tout aussi bien. Cela nécessite certains préalables incontournables dans l’objectif suprême de créer la confiance entre dirigeants et administrés. Et cet objectif n’est pas, comme on le pense ici et là et qu’on le dit ailleurs, d’arriver à 2021, car 2021, on y arrivera de toutes les façons… Il faudra surtout passer ces deux ans sans heurts et restaurer la confiance perdue !
Leçon n°1 : Devenir ministre est une consécration, certes, mais pas une fin. Poser pour la photo de famille avec le chef de l’Etat n’est qu’un commencement, un début, un démarrage… le gros du travail, c’est après, et il est important de s’y préparer.
Leçon n°2 : Un membre du gouvernement s’appelle un ministre, pas un vizir, et il doit donc adopter une attitude de ministre, et non pas, non plus de vizir. Son ministère est un édifice public, pas un donjon ou un ksar. Un ministre n’est pas un seigneur, mais d’abord et avant tout un serviteur. Les ors et les décors, l’apparat de la fonction et le prestige de l’institution doivent l’aider à servir, et non pas à sévir ou à asservir.
Leçon n°3 : Un ministre dispose habituellement d’un téléphone, et quand ce téléphone sonne, il doit y répondre, rappeler plus tard en cas d’empêchement, ou faire rappeler, impérieusement. Au mieux, cela s’appelle de l’efficacité, au pire, de la simple courtoisie. C’est simple et basique, comme dirait l’autre…
Leçon n°4 : Un ministre doit absolument savoir que son département concerne toujours des centaines de milliers de personnes, et parmi elles, on peut trouver des dizaines qui savent ou pourraient savoir ce qu’il est nécessaire de faire, et surtout de ne pas faire. Un ministre, donc, doit disposer d’assez d’humilité pour ouvrir son cœur à sa mission et ses oreilles aux propositions. Il a des équipes pour cela.
Leçon n°5 : Un ministre doit également savoir ouvrir sa bouche, pour expliquer, décortiquer, communiquer, et ne surtout pas soliloquer, en évitant les sujets qui fâchent, qui finiront inévitablement par fâcher.
Leçon n°6 : Faut-il rappeler à nos ministres que le Maroc est un Etat à économie libérale ?... Ce qui signifie que presque tous les départements ministériels sont liés, ou doivent être reliés, à leurs prolongements dans le privé. Enlevez le SGG… et tout le reste s’appuie peu ou prou sur le privé. Il serait dommage, ce serait un outrage, que nos ministres se privent du privé.
On dit qu’on veut travailler avec le privé, qu’on veut impliquer le privé, qu’on veut même prendre exemple sur le privé. Fort bien… Mais le privé a ses conditions et ses habitudes de travail, dans la célérité, la proximité, la clarté et, bien évidemment, dans un objectif d’efficacité.
Leçon n°7 : Un ministre doit être exemplaire, car nous sommes à l’ère de la société de communication, avec des réseaux sociaux impitoyables et émotionnels, et des téléphones qui filment et photographient plus qu’ils n’appellent. Être actif, réactif et même proactif devient une nécessité, un crédo, voire une seconde nature.
Leçon n°8 : Qu’ils soient ministres réellement partisans ou supposément politisés, les membres du gouvernement doivent oublier les programmes de leurs partis… quand ils existent. Ils auront une feuille de route qui s’appelle modèle de développement, ils devront la mettre en pratique, vite. Le Maroc n’a nul besoin d’une démocratie réchauffée, mais de résultats effectifs.
Leçon n°9 : Un ministre se doit d’être audacieux, pas prétentieux, ou juste un peu, s’il ne peut s’empêcher de l’être… Il doit se montrer intrépide, au risque de devenir insipide. Il doit prendre des décisions, ne pas chercher à plaire, et éviter de se limiter à complaire, car le dernier mot reviendra à la volonté populaire.
Leçon n°10 : Un ministre doit savoir qu’au terme de sa mission, peut-être même avant, il trouvera devant trois portes, celle du futur gouvernement ou d’une autre fonction publique s’il est compétent, celle qui le ramènera chez lui s’il se montre inconséquent ou inefficient, et celle du tribunal s’il est indélicat ou âpre au gain.
Les choses ont changé. Jadis, quand le ministre arrivait quelque part, les respirations s’arrêtaient, les cœurs palpitaient, les yeux s’écarquillaient et l’admiration submergeait… Mais ça, c’était jadis. Aujourd’hui, on le scrute, on le dispute, et on attend qu’il produise du sens et donne des résultats. Et dans la version troisième du gouvernement Elotmani, cela est plus que jamais valable car les gens sont devenus aussi irascibles qu’impatients, insensibles qu’intraitables. Et énervés.
Aziz Boucetta
(Photo du 1er gouvernement du Maroc indépendant, 1955-56)