(Billet 226) – Les gens se meurent et la Santé se tait !

Les Marocains ont bien raison de se souhaiter, à chaque occasion religieuse et à chaque nouvelle année, une bonne santé… Une sorte de méthode Coué incantatoire pour exorciser le souffreteux secteur de la santé dans le royaume. Des ruptures de stocks à répétition, effectifs de médecins insuffisants, une caste de médecins douteux, des hôpitaux souvent moyenâgeux… Bref, au Maroc, mieux vaut être bien portant, et dans le cas contraire, il est préférable d’être riche… Mais c’est vrai que c’est mieux que si c’était pire !
La santé, on le sait, ce sont les médecins, mais les médecins posent problème. Ils sont d’abord en effectif réduit, puisque le Maroc n’abrite que 24.000 praticiens (soit 7 pour 10.000 âmes) pour un besoin de 75.000 (3 pour 10.000 personnes, normes OMS). Mais les concours continuent de rendre les facultés difficiles d’accès ; les mauvaises langues expliquent cela par un lobby professionnel puissant qui veille à « limiter la concurrence », mais les mauvaises langues disent tellement de mauvaises choses…
Ensuite, les médecins, on s’en souvient, sont âpres au gain, ou du moins une partie d’entre eux, que d’aucuns, toujours des mauvaises langues, considèrent comme importante. Cela étant, et sans être mauvaise langue, qui d’entre nous n’a pas langui, longtemps, dans une salle d’attente bondée ? Aller consulter aujourd’hui dans le délicat royaume qui est le nôtre implique de sacrifier une demi-journée… C’est que cela gagne bien, un médecin, mais, pour reprendre la délicieuse expression de la Cour des comptes française, les médecins présentent « des comptes incomplets et insincères ». Qu’en termes délicats ces choses-là sont dites... Au Maroc, le SG du ministère des Finances avait très perspicacement asséné en mai que « quand on optimise jusqu’à 90% des revenus, il y a un problème »… Il s’était attiré les foudres des médecins qui, verts de rage, ont nié faire du noir, assurant être blancs comme un globule.
Sur le plan central, cela ne va pas mieux, puisque le Maroc vit depuis quelques semaines, voire plusieurs mois, des ruptures de stocks de médicaments incontournables, comme le Levothyrox et autres médecines traitant le diabète, certaines maladies mentales, ou encore des anesthésiants… Le Maroc et son héroïque gouvernement (dirigé par un médecin !) ne sont-ils donc pas capables de calculer les besoins en médicaments et d’en assurer la satisfaction ? Il semblerait que non. Les arguments pleuvront à foison mais resteront foireux… On créera certainement une commission d’enquête, toujours utile pour endormir les gosses et adoucir les molosses.
Pas un mot en revanche, mais des morts en avalanche, pour ce scandale d’Etat qui finira bien par exploser un jour, celui du traitement de l’hépatite C, aussi brillamment que bruyamment exposé dans l'enquête menée par nos confrères du Desk. Face au silence qui a suivi ces révélations, on peut penser que gouvernement, parlement et justice ont gardé quelques produits anesthésiants pour leur usage… Plus sérieusement, M. Elotmani et surtout M. Abdennabaoui devraient s’intéresser à cette affaire… et accessoirement MM. El Malki et Benchamas, pour leur culture générale !
Alors, face à cela, on s’interroge : Où est le ministre de la Santé ? Qui est ce ministre ? et y a-t-il même un ministre de la Santé ? Depuis le départ d'Anas Doukkali, à l'insu de son plein gré, la Santé se tait, les gens se meurent et les professionnels se murent dans un silence de mort. Les Marocains méritent mieux, et les deux médecins de la Commission Benmoussa ont un grand corps malade sur leur table d’opération.
Aziz Boucetta