(Billet 259) – Notre priorité est le Sahara, pas la Palestine !

Clore définitivement l’affaire du Sahara si on ouvre une ambassade en Israël… voici la polémique qui agite actuellement (une partie de) la société marocaine. Les uns s’interrogent, les autres s’excitent et la question suscite un débat intense où l’agressivité n’est jamais loin. Mais à y regarder de plus près, sereinement et sans énervement épidermique…
Les faits. Donald Trump (cornaqué par son grand ami devant l’Eternel Benjamin Netanyahou) penserait à reconnaître définitivement la marocanité du Sahara en échange de l’ouverture d’une ambassade du Maroc à Tel Aviv. Rien d’officiel, mais Nasser Bourita a été sommé au parlement de clarifier la position du Maroc envers « le deal du siècle ». Répondant aux élus du PJD, le ministre aurait dit qu’ « il ne faut pas être plus palestinien que les Palestiniens, et que la préoccupation première des Marocains n’est pas la Palestine, mais le Sahara ». M. Bourita n’a pas démenti à ce jour avoir dit cela, et s’il l’a dit, il a parfaitement raison !
Qui sommes-nous ? Il serait intéressant de poser cette question, et d’y répondre… Sommes-nous d’abord et avant tout Marocains, Arabes ou musulmans ? Sommes-nous redevables d’une loyauté prioritaire à l’égard du Maroc, de la nation arabe ou de la Oumma islamique ? De la réponse à ces questions dépendra la définition de nos priorités. M. Bourita y a, lui, répondu clairement, dans le sens d’une loyauté au Maroc, d’abord, avant tout et au-dessus de tout.
La priorité. Quand les élus PJD disent que la préoccupation première des Marocains est al-Qods, ils expriment en toute liberté leur opinion… Quand Nasser Bourita rectifie le tir, il ne fait que son devoir en rappelant que tout citoyen doit d’abord sa loyauté à son pays. Et lorsqu’il conseille de ne pas être plus palestinien que les Palestiniens, il rappelle une évidence qu’il convient quand même de rappeler : Israéliens et Palestiniens ont signé les accords d’Oslo et ce n’est que la semaine dernière que Mahmoud Abbas a interdit toute relation avec Tel Aviv et Washington.
Mais au PJD et aux autres inconditionnels de la suprématie de la cause palestinienne, posons la question autrement, pour savoir où va leur loyauté : En échange d’un rétablissement des Palestiniens dans l’ensemble de leurs droits (frontière de 67, voire de 48, et même avant 48), seraient-ils disposés à renoncer au Sahara ??!!
La normalisation. Le Maroc entretient des relations commerciales, touristiques et humaines avec l’Etat juif, ce n’est un secret pour personne, et des bureaux de liaison avaient été ouverts dans chacun des deux pays de 1994 à 2000 sans que la terre n’eût arrêté de tourner, malgré les glapissements des anti-normalisation. Les Juifs, marocains ou non, et les Marocains musulmans n’ont aucun différend séculaire ni haine historique. Les Juifs marocains étaient protégés par les sultans alors même qu’en Europe les pogroms se multipliaient et se normalisaient.
Le président turc Erdogan, héros de tant de musulmans et même d’Arabes en mal de fierté, a normalisé avec Israël, après que le roi Abdallah de Jordanie (et son père Hussein avant lui) eût fait de même. Il faudrait pouvoir débattre de cette idée, concernant le Maroc, avec raison et rationalité, sans excommunication outrancière ni énervement outragé, et n'oublions pas que les Palestiniens n'ont jamais fait d'excès dans la défense de la marocanité du Sahara... alors même que le Maroc a de tous temps été sur tous les fronts de Palestine (Comité al-Qods, Bayt mal al-Qods, Déclaration signée entre Mohammed VI et le pape François...)
Le « troc ». Les Israéliens disent qu’en échange de la reconnaissance d’Israël, les USA ouvriraient un consulat à Laâyoune, ce qui vaut reconnaissance de la marocanité du Sahara. Au-delà de l’amoralité d’un tel troc – pas pour les Palestiniens, mais pour la dignité du royaume –, passer un tel accord avec des individus comme MM. Trump et Netanyahou serait une faute politique et une erreur diplomatique. Et le Maroc n’a pas besoin de troc pour établir ce qui l’est déjà : le Sahara est marocain, et le monde en convient, et si tel n'est pas le cas, peu importe, nous en convenons ! Le reste n’est que surenchère et manœuvres diplomatiques pour maintenir la pression et diviser pour mieux régner, et surtout grapiller.
Le monde a changé. Nous avons tous grandi dans l’idée de la défense des Palestiniens. Il est grand temps d’appréhender le monde pour ce qu’il est devenu, et non à travers ce qu’il fut. Notre inconscient collectif nous mènera toujours à défendre les Palestiniens, mais notre conscience actuelle devrait nous inciter à changer de paradigme. Et, dans la même logique, pourquoi défendre bec et ongles les Palestiniens et non les Ouïghours ou les Rohingyas ? Y aurait-il donc aux yeux des pro-Palestiniens des musulmans de catégorie 1 et d’autres de sous-catégorie ?
Cultivons notre jardin ! Le Maroc est, avec le Japon, le plus vieux pays au monde dans ses frontières et son système monarchique. Il doit en retirer une fierté, et il doit préserver la dignité que lui confère ce statut. Nous autres, Marocains, devons être passionnés, habités, par notre Sahara, et c’est ce qui peut expliquer la réponse, fermement mais courtoisement négative, au « deal du siècle ». pas besoin d’énerver un Trump si imprévisible et revanchard…
Le Maroc est un vieux pays et sa population, même éternellement énervée et insatisfaite, constitue une vieille nation. Nous ne devons donc pas plus « dealer » avec des « dealers », que nous tromper de priorité en nous laissant mener par des émotions communautaires si loin de nos préoccupations fondamentales !
Aziz Boucetta