(Billet 282) – Sommes-nous un Etat voyou ?

(Billet 282) – Sommes-nous un Etat voyou ?

Plus de 80.000 dossiers jugés en 36 mois… de 500 à 1.000 affaires examinées en une seule audience, alors que la moyenne quotidienne d’un juge est d’une cinquantaine seulement… Des noms de magistrats, d’avocats, d’entreprises (dont plusieurs estampillées RSE…) apparaissent dans ce qui sonne, résonne et tonne comme seul un scandale retentissant et, disons-le humiliant pour notre pays, sait le faire.

Les éléments rapportés par la dernière investigation de notre confrère Yabiladi sont effarants. Une immense opération où la justice enchaîne les jugements à une cadence démentielle, impossible à tenir, avec des vices de forme qui ne sont plus des erreurs ou des négligences, mais des délits, voire des crimes : jugements prononcés en l’absence des défendeurs, sans avocats, souvent sur la base d’adresses erronées, peut-être fausses, concernant des dettes commerciales souvent prescrites... Des avocats, des entreprises ont industrialisé le processus, et certains magistrats ont tellement pris leurs aises qu’ils ont même « jugé » et condamné le journal de l’USFP, dirigée par un avocat et comptant dans ses rangs le ministre de la Justice, entre le 4 et le 12 décembre 2019, sans que le parti n’en ait été notifié !

Les articles 23 (alinéa 1) et 120 de la constitution sont écrasés, pulvérisés, broyés par l’insoutenable légèreté de certaines gens en charge de la justice.

Plus grave encore… Ces jugements sont rendus, toute honte bue, « au nom de Sa Majesté le Roi et en vertu de la Loi ». Eu égard à l’éminente symbolique du chef de l’Etat au Maroc et à la sacralité de la loi, ce scandale est d’une gravité inouïe, car il implique le Roi et bafoue la loi. Plusieurs jours après la parution de ce scandale, personne n’a démenti les faits, ni Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, ni parquet général, ni barreau… Dans la pratique journalistique, l’absence de démenti quasi immédiat dans les jours qui suivent vaut reconnaissance des faits.

Quelles sont les victimes dans cette affaire ? Les personnes injustement et précipitamment condamnées en dehors du respect des procédures, plusieurs ayant fait l’objet de saisies judiciaires et ont été dessaisies de leurs biens, mais aussi les entreprises dont la réputation sera écornée bien qu’il semblerait que les top management de plusieurs d’entre elles n’aient pas été informés de ces agissements (on ne peut en dire autant de leurs chargés de contentieux)… et la justice ! Les juges intègres seront souillés, les avocats honorables seront entachés… Cette affaire, révélée par la presse et abondamment reprise sur les réseaux sociaux, causera à n’en point douter de graves préjudices à un pays qui veut attirer de l'investissement et lustrer son image, que seule une salutaire, immédiate et vigoureuse et rigoureuse réaction publique et judiciaire saurait maintenir.

Voici quelques mois, un autre scandale avait été révélé par nos confrères du Desk. Il s‘agit de l’affaire du marché du médicament contre l’hépatite C, qui avait coûté leurs postes à plusieurs hauts fonctionnaires. Hier la santé, aujourd’hui la justice… peut-être qu’un jour, on verra éclater un scandale dans le domaine de l’éducation dont le dysfonctionnement, avec ceux des deux secteurs précédents, est à l’origine de l’hémorragie migratoire que connaît le royaume et du mal-être de ceux qui y restent.

La bonne nouvelle est que la presse, par laquelle les scandales sont portés à la connaissance du public, fait son travail et n’est plus considérée comme ennemie à abattre (à l’exception de quelques regrettables hiatus…), et que la technologie permet de confondre les indélicats, comme le site mahakim.ma a conduit à le faire pour l’affaire judiciaire qui nous préoccupe. La mauvaise nouvelle est que, globalement, les instances de contrôle et de régulation restent pusillanimes. En effet, le patron de l’Instance contre la corruption est plutôt inaudible, et celui du Conseil de la Concurrence tergiverse avant de publier ses rapports tant attendus par l’opinion publique.

Si le roi a nommé des personnalités de la société civile à la tête de ces institutions, c’est en toute connaissance de cause, afin que ces gens, bien au fait des dysfonctionnements et abus, fassent le travail de nettoyage, car nos écuries d’Augias ont sérieusement besoin d’être nettoyées et les indélicats doivent être renvoyés… devant des cours de justice !

Le Maroc est en pleine réflexion autour d’un modèle de développement, et une commission a été nommée pour cela. On y croit, on veut y croire, on attend… et le Maroc n’a nul besoin de ce type de scandales et de responsables impunis.

C’est cela un Etat qui se respecte et qui respecte sa population, en la mettant à l’abri des vautours et en la préservant dans ses droits élémentaires de santé et de justice ! Dans le cas contraire, les voyous essaimeront et les Marocains déprimeront… et s’en iront !

Aziz Boucetta

 



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