(Billet 304) – La com’ au temps de Covid19, entre le balagh et la manière

(Billet 304) – La com’ au temps de Covid19, entre le balagh et la manière

La terre est malade, le monde est en crise, les humains doutent d’eux-mêmes et redoutent l’avenir… aucun pays au monde n’est épargné, et la différenciation entre nations change. On ne compare plus les richesses des nations mais leur propension à agir, réagir et régir cette pandémie. Dans ce combat titanesque entre un tueur invisible et les moyens gigantesques déployés contre lui, la communication a une importance cruciale et la lutte contre le Covid19 se mènera d’abord sur le plan de la psychologie et de la com’.

Dès le début de la crise, le Maroc a rompu avec une tradition bien ancrée consistant en pas de communication, ou peu, ou mal, souvent « octroyée ». Les informations arrivaient, crues, et les communiqués tombaient dru. Les Marocains ont tenu le rythme et le coup, face à une pluie de mauvaises nouvelles, annonciatrices du tsunami menaçant qui se profilait à l’horizon. Conférences de presse, confirmation de stress, puis pression du confinement… Après s’être enfermé, le royaume s’est trouvé tout seul, livré à lui-même ou presque, loin des regards embués de larmes du monde.

Le Marocain a alors intensément besoin de se sentir en confiance, et donc besoin de croire en son gouvernement pour le suivre ; et la confiance, à défaut de promiscuité, passe par la proximité, laquelle se fonde sur une com’ bien faite... « Dans les grandes crises, le cœur se brise ou se bronze », professait Balzac. Et la différence entre la casse et la classe est aussi ténue qu’un virus…

Alors le roi s’est impliqué, avec des décisions claires, une communication précise et sobre et une vaste compréhension du danger. Une fois les directives données, il n’appartenait plus au palais de communiquer, mais au gouvernement et aux différents organismes et institutions impliquées dans la lutte contre le coronavirus.

Et ainsi donc, l’enfermement du Maroc et son auto-isolation ont été bien gérés, et acceptés ; le confinement a été promptement décidé, et largement accepté, et il en va de même pour le port du masque. Il faut reconnaître que cette fois, la télé a rempli son rôle, et 2M en particulier, plus télé citoyenne que jamais… Pourtant, un mois après les premières grandes mesures, certains hiatus sont apparus, à travers cette politique de communiqués – les fameux « balagh » – qui risque d’atteindre ses limites car aujourd’hui, le savoir est partagé, et le faire savoir est à la portée de tous.

Un communiqué en période de crise n’est pas une foi en soi, il n’est que communication ! Il nécessite donc d’être étayé par l’argument, suivi par l’explication, soutenu par un suivi et protégé des détracteurs par des réponses, encore des réponses, toujours et inlassablement des réponses !

Ainsi, le Maroc fabriquera des masques, nous dit-on, et pourrait même en exporter ; c’est tellement beau que cela en devient douteux et de plus en plus d’articles et de réactions en témoignent… Le Maroc a réquisitionné ses stocks de chloroquine, et pourrait en faire un protocole de traitement des malades ; mais des médecins mettent cela en doute et partagent largement leurs avis sur les réseaux… Des milliers de Marocains sont bloqués à l’étranger, avec menace imminente de précarité, mais personne au gouvernement n’en parle et on ne sait pas trop ce qu’ils deviennent… Des chiffres tombent chaque jour, aussi effrayants qu’insuffisants… Un ministre important, avec quatre fonctions, est sèchement débarqué, et on se contente de l’annoncer, sans explication ni justification.

Tous ces faits sont portés à la connaissance du public par communiqués, et tous ces faits ont suscité des remarques, des doutes et parfois même des joutes, ouvrant la voie à la rumeur alors même que des gens meurent et beaucoup d’autres se meurent et que le gouvernement s’emmure dans le silence. Peu de réponses, peu de réactions des auteurs des communiqués, dont les textes donnent de plus en plus souvent le sentiment d’une info encore « octroyée » ! Or, on le sait, trop d’infos tue l’info, et souvent atteint l’objectif inverse de celui escompté. Alors que la meilleure communication est silencieuse, comme les audiences royales respectant la distanciation sociale et sans contact physique, le port du masque par le roi…

Le Maroc coronaviral dispose d’un comité de veille économique et d’un comité scientifique. Il semblerait que nous ayons aujourd’hui plus que besoin d’une cellule de communication, regroupant nos meilleurs spécialistes dans le domaine, et nous en avons… Peut-être alors que la communication joindra l’utile au nécessaire, le balagh et la manière.

Aziz Boucetta

 

 

 



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