(Billet 305) – L’insoutenable silence de Nasser Bourita

S’il y a bien une chose que la crise sanitaire aura montré, c’est la notion de citoyenneté. L’Etat, ordinairement critiqué et ses représentants habituellement vilipendés, affiche aujourd’hui sa présence et sa préoccupation de sauver les vies et les chaînes de valeur. Le gouvernement est sur le pont, les banques financent et offrent leurs installations, et la société œuvre à créer une large solidarité entre tous. Il reste le sort cruel des Marocains résidents au Maroc et bloqués à l’étranger…
Il serait erroné et injuste de dire que rien n’a été fait pour eux… Au début de la crise, en effet, les services diplomatiques et consulaires étaient là, bien au rendez-vous, efficaces, altruistes, compréhensifs, empathiques, utiles. Des gens, en grand nombre, furent pris en charge, logés, restaurés, éventuellement soignés. Et puis, au fil du temps, l’élan s’est tari en même temps que s’épuisaient les ressources et que naissait l’inquiétude… quand le besoin de soutien psychologique devient à son tour pressant, et qu’il ne trouve pas, plus d’écho.
Et pourtant, ces gens sont nos compatriotes, ils ont donc le droit, et sont même en droit d’exiger les mêmes égards prodigués à nous autres Marocains restés au pays (toute chose étant perfectible, mais bon…). La palette d’intervention de l’Etat est vaste, allant de la prise en charge au rapatriement, en passant par le soutien financier ou sanitaire, ou encore l’assistance diplomatique et consulaire permanente.
La crise dure depuis près d’un mois maintenant, et cela fait près d’un mois que nos frontières sont fermées, et si les premiers jours ou semaines, tout allait aussi bien que possible en pareilles circonstances, les 15 à 20.000 Marocains bloqués à l’extérieur nourrissent aujourd’hui le désagréable et grandissant sentiment de se sentir abandonnés… A de nombreuses occasions, dans leurs contacts avec les services consulaires ou diplomatiques – pas tous, bien heureusement –, ils sentent désormais qu’ils dérangent, qu’ils sont le problème.
Ils sont en tous lieux, nos compatriotes, aux Philippines ou au Pérou, sur le continent, au Cameroun, ou plus loin, bien plus loin, au Sri Lanka. Et ils sont aussi proches, sur le sol européen, ou à portée de vue, au sud de l’Espagne, voire même à portée de voix, dans les enclaves de Sebta et Melilla. Mais le Maroc est fermé à ses enfants. Etrangement, tristement…
Pourquoi ne pense-t-on donc pas au rapatriement de nos compatriotes par avion, comme l’ont fait France et Canada, mais aussi Algérie et Tunisie ? Pourquoi fermer la frontière terrestre avec l’Espagne alors même que les Marocains bloqués à Sebta ou Melilla voient les Européens entrer dans les enclaves ? Quelle est la réaction du gouvernement à ce qui ressemble de plus en plus à un drame humanitaire à Melilla ? Où est le ministre des Affaires étrangères, dont relèvent ces questions ? Omniprésent quand il s’agit de plaire, d’ouvrir des représentations consulaires ou de cogner sur le voisin et ses militaires, le voilà aujourd’hui insoutenablement silencieux face au sort vécu par nos compatriotes bloqués dehors.
Au Maroc, la diplomatie marocaine paraît avoir repris à son compte l’expression « la Grande Muette ». Contrairement aux autres ministres directement concernés par la crise et qui communiquent et prennent des risques, Nasser Bourita ne pipe mot, prudent et furtif comme un Sioux, et aussi peu causant. Les gens à l’étranger attendent qu’il s’exprime, qu’il dise quelque chose, qu’il explique ce qu’il veut, qu’il s’explique sur ce qu’il peut, mais rien… et au Maroc, de plus en plus de voix s’élèvent pour avoir une explication, mais là aussi le grand silence.
Qu’expliquerait-il au demeurant ? Que les choses sont compliquées… ? Cela ferait un peu court car le ministre, plutôt désœuvré en cette funeste période, peut consacrer de son temps à véritablement tenter de solutionner la misère de ses compatriotes bloqués à l’étranger. Dirait-il que le Maroc manque d’argent pour rapatrier ses ressortissants ? Cela serait inexact et fort inélégant. Que le Maroc craint de faire venir des gens atteints du Covid-19 ? Réponse indélicate car la quarantaine et le confinement seraient naturellement de mise pour ces gens qui sont d’abord et avant tout Marocains.
M. Bourita est le très furtif ministre des Affaires étrangères d’un gouvernement confronté à un cyclone sanitaire. Il ne semble absolument pas peiné de la très douloureuse condition à laquelle sont ou pourront être réduits des Marocains qui, pourtant, souvent, comme tout bon Marocain, n’attendent qu’un geste, une attention, une marque d’intérêt… Nul ne songerait à remettre en question la stratégie de l’Etat en ces temps difficiles, mais tous voudraient la connaître au nom de notre nouvelle communion.
La dignité et la volonté dont fait montre le Maroc, dans toutes ses composantes, sa société et ses institutions, dans sa lutte contre la pandémie, ne cessera de nous éblouir. Il est attristant que la diplomatie y imprime cette tâche.
Aziz Boucetta