(Billet 318) – Projet de loi 22-20, on ne nous dit pas tout !...

(Billet 318) – Projet de loi 22-20, on ne nous dit pas tout !...

Le 19 mars est un jour qui devrait figurer en bonne place dans l’histoire des annales juridiques marocaines… Ce jour-là, le ministre de l’Intérieur a publié un communiqué portant sur l’application de l’état d’urgence sanitaire, et avec lui le confinement, sur l’ensemble du territoire national. Mesure saine, certes, mais qui s’accompagne d’une tentative, vaine, de « frapper » les réseaux… C’est le projet de loi 22-20, discuté le jour même en conseil de gouvernement, et qui enflamme à juste titre les Marocains, conscients qu’on ne leur dit pas tout !

Le projet n’est pas encore public, et le texte est donc sous embargo, comme on dit, au niveau du gouvernement. Mais il a fuité. Pourquoi ? Par qui ? Comment ? Autant de questions secondaires mais qui donnent une image de l’état calamiteux de cette majorité supposée diriger le pays en situation de crise majeure, sanitaire, économique, sociale… Les services de l’Etat, dans les deux sens du terme, sont en mesure d’identifier les sources de la fuite. L’acte consistant à dévoiler les délibérations du conseil de gouvernement étant répréhensible au regard de la loi, on pourrait voire on devrait s‘attendre à une suite judiciaire, ou au moins politique. On vire si facilement les ministres, de nos jours… mais comme on ne nous dit pas tout…

Revenons au texte… Comme souvent dans ce genre d’affaires de libertés, le principe est bon mais son mode d’application est nauséabond.  L’idée est de réguler les réseaux sociaux et le web en général, mais étendre ses restrictions à des appels au boycott de produits ou au retrait de l’argent des banques est un regrettable et coupable abus. Mieux vaut savoir pourquoi on lance de tels appels que de réprimer ceux qui le font, au risque de devoir embastiller quelques centaines de milliers de personnes ce qui, on en conviendra, est aussi déconseillé que techniquement ardu.

Si on se réfère aux théoriciens du contrat social, Hobbes et surtout Locke, le gouvernement (dans son sens ancien) est fruit d’un consensus en vue de la régulation de la vie sociale. Or, la vie sociale, aujourd’hui, est aussi bien réelle que virtuelle, puisque des pans entiers de nos vies ont migré sur internet. L‘Etat régule bien la vie réelle, dans la confiance générale (en principe du moins) et il devrait en aller de même pour la vie virtuelle, toujours dans la confiance. Mais avec ce projet, c’est la défiance qui s’installe, face à l’inconstance, l’insouciance, voire l’inconscience et même l’insignifiance des chargés de notre gouvernance, qui ne nous disent décidément pas tout.

Résultat : rétropédalage en catastrophe d’un gouvernement rudement apostrophé par la Toile. L’initiateur (supposé) du texte, le « socialiste » de la Justice (!!) gémit quelques explications pas convaincantes car peu convaincu… le ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme commet trop rapidement une longue bafouille, sensément interne mais devenue publique, le chef du gouvernement ne dit rien mais n’en pense pas moins, Nabil Benabdallah règle ses comptes en dénonçant les règlements de compte et même le PAM et le MP retrouvent la parole, et les députés RNI, directement attaqué par ce projet qui rappelle le boycott de 2018, gardent périlleusement le silence… Grinçante cacophonie qui dit à peu près tout de l’état de notre classe politique.

Proposer ce texte le jour même de la décision de confinement est une faute, au mieux, un sabotage de ce qui arrive, au pire. Car le Maroc s’apprête à adopter une loi sur le traçage numérique des Covidiens et des Covidiennes… le 22-20 survient, par un étrange hasard et une curieuse coïncidence, à ce moment. On voudrait saboter l’introduction de cette application que l’on ne s’y prendrait pas autrement…

Non, on ne peut penser que nos gouvernants soient aussi légers ! Non, ce projet ne peut être un ballon d’essai qui, si tel était le cas, aura bruyamment explosé, son souffle menaçant en outre de pulvériser la confiance établie par une opinion publique inquiète et soucieuse de sa protection, mais pas à n’importe quel prix.

Ce projet, sa conception, son timing, sa fuite et les réactions suscitées par cette dernière, sentent le règlement de comptes porté par des responsables aussi étiques que peu éthiques. Au moment où nous rêvons d’un Maroc résilient, meilleur, avions-nous besoin de cela ? Aux (vrais) responsables de répondre, et de sévir contre ces manœuvriers qui ne disent pas tout, mais qui font tout pour compliquer les choses…

Aziz Boucetta

 

 

 

 



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