(Billet 321) – 22-20, le projet de loi Fantomas

(Billet 321) – 22-20, le projet de loi Fantomas

Lorsqu’un médecin psychiatre préside un gouvernement, il ne faut pas s’étonner de voir ce gouvernement marcher parfois sur la tête et lancer des idées folles avant de les torpiller d’une manière rock n’roll… C’est un peu le cas du gouvernement Elotmani et de son projet de loi mort-né, portant matricule 22-20, qui vient d’être « reporté » sine die. La version officielle dit que le projet est retiré pour mieux être étudié, à un moment plus propice, en concertation, blablabla… En fait, en vérité et en clair, il est retiré à pleines mains, sans doute sur un claquement de doigts…

Entendons-nous : un tel projet de loi, supposé réguler l’usage des médias sociaux et limiter les fake news, est utile, voire vital car cette autre partie, virtuelle, de notre vie doit être autant encadrée par la loi que l’est notre vie réelle, habituelle. L’énorme ampleur du principe doit donc nécessairement faire l’objet d’un texte longuement réfléchi, patiemment mûri, soigneusement pesé, après de larges consultations. Cela n’a pas été fait.

Ce projet de loi Fantomas mériterait donc de figurer dans les annales gouvernementales du Maroc, dans la rubrique « bêtisier », qui devrait normalement exister. Personne en dehors du gouvernement ne l’a jamais vu, des ministres en défendent l’esprit mais se défendent de sa lettre, les partis composant la majorité couinent de ne pas être vraiment au courant, ni vraiment opposés et encore moins vraiment enchantés du projet, et les députés qui ne l’ont jamais vu jurent qu’ils ne le voteront pas… Au sein des partis d’opposition ou en manque de positionnement, c’est toujours des bafouilles vidéos à gorges déployées, gorgées de grands principes, mais manifestement précipitées et fébriles. Seul Nabil Benabdallah a eu le courage de dire les choses, un peu timidement au début sur vidéo, puis plus virilement par whatsapp (après tout, Donald Trump envoie bien des tweets).

Le projet a dès son premier jour été marqué par un timing désastreux. Il a été fort discrètement glissé et adopté en conseil de gouvernement le 19 mars, le jour même où a été annoncé le confinement des populations ; mais le texte n’a été entériné que dans son principe, disent-ils… le lundi 27 avril, surlendemain de la décision de prolongement du confinement, pour un autre mois, une partie du texte fuite, celle qui cause boycott des entreprises et des banques, rappelant furieusement l’affaire du boycott de 2018. Puis, au cours de la semaine, chaque jour, un politique s’en lave les mains au gel hydroalcoolique, à sa manière. Le PPS s’énerve, Mostafa Ramid commet un long mémo, le MP ose quelques mots, le PAM sort le lance-flamme, l’USFP se terre et le RNI se tait.

A qui profite le « crime » alors ? Au RNI, dont le président Aziz Akhannouch avait été l’une des cibles du boycott de 2018 ? Il n’était pas présent à ce conseil du 19 mars, disent ses hommes ; ce n’est pas une raison, mais la ficelle est trop grosse pour la lui imputer. Le PJD ? Pas plus concerné, sauf qu’il a surfé sur une vague qui l’arrange bien. L’USFP ? Trop faible, trop étique (sans « h »), trop insignifiante pour endosser un pareil projet, même si c’est son infortuné ministre Benabdelkader qui a présenté le texte. Le MP ? Bien sûr que non. Alors quoi, qui ? Un zeste de zèle, une grande maladresse, une incommensurable légèreté. Et une très surfaite auto-suggestion d’intelligence…

… Qui est en fait une insondable manifestation de bêtise car nos gouvernants du gouvernement n’ont pas compris que depuis le 20 février, depuis l’affaire Galvan, depuis le boycott, la société civile a gagné en maturité et l’opinion publique en férocité. Comment ces gens du gouvernement, qui avancent masqués, ont-ils pu penser une seule seconde que ce texte allait passer en l’état ? N’ont-ils donc pas compris que quand les gens sont confinés, ils voient tout et peuvent s’énerver, même de chez eux ?

Alors le PJD s’est réuni en Politburo samedi 2 mai, a appelé à reporter le projet, et a même été entendu par l’infortuné Benabdelkader, qui a "obtempéré" et a commis sa demande de report le lendemain dimanche. Et immédiatement après, la dépêche MAP sur cette demande de report est tombée, aussi abruptement que peut tomber un ordre !...

Finalement, ce Covid-19 nous aura montré beaucoup de choses, et avec lui, nous aurons réussi à dépasser la France en tellement de choses, jusques-y compris la bêtise collective d’un gouvernement pourtant composé de grands talents individuels.

Aziz Boucetta

 

 



Articles Similaires



Les plus populaires de la semaine

Vidéos de la semaine




Newsletters