(Billet 322) – Pourquoi s’inquiéter de l’application Stop Covid ? Nous sommes déjà traqués !...

(Billet 322) – Pourquoi s’inquiéter de l’application Stop Covid ? Nous sommes déjà traqués !...

Alors que le monde bruisse de ces idées sur des applications de traçage des malades du Covid-19, de plus en plus de gens crissent et gémissent contre ces mêmes idées. Il est question de libertés individuelles, de protection des données, du pouvoir insensé que les Etats prennent sur nous… Tout cela est exact, mais tout aussi exact que sa vacuité, tant il est vrai qu’avec la révolution numérique, rien ne se perd, rien ne se cache, tout est archivé, compilé, analysé…

Rire est le propre de l’Homme, disait Rabelais… râler aussi, pourrions-nous dire, inutilement. En effet, nos vies, même celles des plus prudents, sont numérisées, pixelisées, catégorisées, et nos intimités pulvérisées. A moins d’être un ermite vivant dans une grotte où un ascète plongé dans la contemplation, tous les humains vivant à leur époque ont leurs vies scrutées par les géants du net, et par les Etats.

Pourquoi rejeter la mise en place d’une application de traçage du Covid ? Parce qu’on saura des choses sur nous, disent-ils, les contempteurs du projet… parce que nos vies intimes et nos petits secrets seront percés, ajoutent-ils… parce que nous avons droit à nos zone d’ombre, gémissent-ils, et parce que les Etats ne doivent pas tout savoir ni tout pouvoir, martèlent-ils… Et tout cela est de la gentille niaiserie au mieux, de la solide mauvaise foi au pire. Il est de bon ton, de nos jours, de porter haut l’étendard des libertés, de brandir le fanion de nos vies intimes et de maudire les Etats-policiers-liberticides.

Sauf que… Quand nous acceptons de nous soumettre aux procédures administratives pour l’obtention de nos passeports et autres documents d’identité, nos vies sont criblées… quand nous utilisons téléphones, tablettes et ordinateurs, nous laissons moult traces de ce que nous pensons garder caché… quand nous nous soumettons de bonne (ou mauvaise) grâce aux formalités pour des visas, nous devrions lire la charte de confidentialité des entreprises, privées !!, qui sont en charge de la réception des dossiers… quand nous circulons en ville, des centaines de caméras nous traquent… quand nous publions de bonne grâce nos photos et que, sûrs de notre fait, nous nous envoyons des messages « privés » sur Facebook, Instagram, Twitter, nous fournissons nous-mêmes cette partie virtuelle de notre vie à des institutions dont nous ignorons en réalité tout… Quand nous faisons des recherches sur le web, Google ou autre, nous brossons nos profils… et les cartes bancaires, et les GPS pour localisation, et les objets connectés

Et nous n’y pouvons rien, car ainsi est la vie au 21ème siècle, où les existences ont changé, où les menaces ont évolué, où tout va très vite entre tous, où tout est, ou semble, simple, facile, immédiat. Nous sommes heureux d’avoir désormais ce fameux et mythique don d’ubiquité, de pouvoir lier connaissance avec des inconnus à l’autre bout du monde, d’avoir la connaissance humaine, ou une grande partie, dans nos poches, grâce à nos smartphones, d’acheter ce qu’on veut où on veut et comme on veut, de télétravailler, de télé-étudier... Le fulgurant progrès technologique, informatique, qui a marqué ces 20 dernières années a aussi installé un contrôle numérique accru, progressif et irréversible. Avec l’assentiment muet car résigné de tous…

Alors pourquoi refuser aujourd’hui une application qui, au moins, servirait à nous protéger, même partiellement, même incomplètement, même confusément, même approximativement ?… Nous refusons que l’Etat apprenne des informations sur nos mouvements et nos microbes, mais nous fournissons une infinité de données sur nous à des entreprises, étrangères et privées !!

Mais la vie est bien faite, finalement… car chaque nouveau pouvoir s’accompagne d’un contre-pouvoir, légal ou spontané. Aux trois pouvoirs classiques s’est ajouté voici eux siècles un 4ème, la presse, qui contrôle le fonctionnement des trois précédents. Aujourd’hui, un 5ème pouvoir est né, et gagnera en puissance, celui des lanceurs d’alerte professionnels, habituels ou occasionnels, qui sont déjà là, et aussi peu aimés par les pouvoirs que les médias le furent et le sont toujours… Et aussi celui des réseaux sociaux qui veillent et surveillent.

Laissons-nous donc « tracer » par cette application anti-Covid à venir, et restons en vie… Pour le reste, faisons confiance à nos Etats et, à défaut, remettons-nous aux lanceurs d’alerte pour leur défiance. C’est ainsi qu’est notre nouveau monde, et les mutants que nous sommes devront bien s’accommoder des mutations en cours. Comme on dit chez nous, « on ne peut goûter le jus et maudire le fruit »…

Aziz Boucetta

 

 



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