(Billet 328) – L’appli Wiqayatna contre la Covid-19 : obligatoire ou illusoire ?

(Billet 328) – L’appli Wiqayatna contre la Covid-19 : obligatoire ou illusoire ?

Concernant la Covid-19, la seule chose qu’on sait avec certitude est que toutes les connaissances et données scientifiques sont barrées d’incertitudes. Alors, les gouvernants ne savent plus que faire : confiner ou non, dépistage ciblé ou à grande échelle, tracer ou « tracker », rouvrir les frontières ou rester enfermé… Néanmoins, ce qui semble se dégager de cette pandémie, annonciatrice d’un monde nouveau fait et de menaces et d’enjeux inédits, est une évolution du rapport au numérique.

Les mesures sanitaires, médicales et administratives ayant été appliquées puis éprouvées ont montré leurs limites, ouvrant la voie à la technologie numérique. Mais celle-ci se heurte aux résistances classiques des défenseurs des droits, libertés et confidentialité des données personnelles. Résistances classiques et figées…

On le sent en écoutant les responsables de l’application « Wiqayatna » exposer leur œuvre, et on pressent leur malaise à présenter ce qui pourrait effectivement être une régression de nos droits fondamentaux. Mais comme le dit Amina Bouayach, « rien n’est aussi fondamental que le droit à la vie ». L’idée est en effet d’une simplicité biblique : pour jouir de ses droits, il faut être vivant, et le droit à la vie transcende les autres droits. Maintenant, il est nécessaire de repenser la philosophie sous-jacente aux droits fondamentaux.

Soulignons de prime abord cette contradiction schizophrénique, ici et ailleurs, qui consiste à tout attendre, exiger, de la puissance publique avec obligation de résultat, mais en persistant à user de tous les moyens mis à notre disposition par la technologie et en déniant à l’Etat le droit d’utiliser ces mêmes moyens technologiques. On a bon gré mal gré accepté les restrictions de déplacement et l’application de contrôle des déplacements par la DGSN, mais on s’inquiète de Wiqayatna…

Le monde, et le Maroc, sont passés en quelques semaines de l’équation non résolue libertés/sécurité à celle, actuelle, de libertés/santé. La première a permis une évolution, une progressivité du droit – et non une régression – et la deuxième est encore en cours de résolution. Et pourtant, les termes de cette équation sont simples : les moyens technologiques ont avancé, offrant plus de possibles, et ont modifié les conditions de vie et les risques y liés. Les droits fondamentaux devront à leur tour évoluer, mais avec cette contrainte/inquiétude de mieux en contrôler le respect par l’Etat. Or, les moyens technologiques permettraient cela, à la condition de repenser les droits, les obligations et de poser de nouvelles possibilités de contrôle.

Le seul et véritable péril dans la question de l’application de traçage est que les données collectées se retrouvent en possession, légale ou illégale, d’établissements commerciaux, publics ou privés. Il existe des moyens pour empêcher que cela se produise et si d’aventure cela survenait, le droit pénal interviendrait (ce qui questionne la justice, mais cela est une autre affaire…). La seule et véritable question qui se pose aussi est celle de la confiance à l’égard de l’Etat, d’où l’existence de tiers de confiance comme la CNDP qui, elle, en gardienne du temple des droits, a bien compris les enjeux, autorisant rapidement l’application de la police et Wiqayatna.

Pourquoi et comment acceptons-nous que les GAFA nous connaissent mieux que nous nous connaissons nous-mêmes, et que dans le même temps nous refusons cette possibilité à l’Etat, dont l’objectif est de nous protéger ? Le volontariat, répondra-t-on… Nous autorisons Facebook et Google à collecter et user de nos données, insistera-t-on… mais c’est une vaste supercherie car nous avons conscience que nous ignorons tout ou presque du sort de nos données confiées aux géants américains. Et ce volontariat est par ailleurs tout relatif car on ne peut aujourd’hui vivre sans Facebook et ses filiales Instagram et Whatsapp, et surtout sans Google.

Alors disons-le, le volontariat exigé pour Wiqayatna et revendiqué par ses concepteurs la videra de toute sa substance et conséquemment, la santé, le mental et l’économie au Maroc en subiront les funestes conséquences. Si Taiwan et la Corée du Sud sont unanimement saluées pour leur maîtrise de la Covid-19, c’est en raison du tracking, voire des bracelets électroniques, qu’elles ont imposé.

Wiqayatna sera obligatoire, à défaut de quoi son utilité sera illusoire. Faisons confiance à l’Etat et contrôlons-le, remettons-nous à la CNDP et suivons-là, en attendant que le Maroc puisse se doter de serveurs puissants pour abriter les données (sachant qu’avec ses deux satellites, il doit déjà avoir ce genre d’installations, sans qu’elles soient nécessairement portées à la connaissance du public).

Aziz Boucetta

 



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