(Billet 343) – Communication de crise… communication surprise

Alors qu’on approche péniblement de la date fatidique du 10 juin, jour du déconfinement plus ou moins annoncé, on peut globalement soutenir l’idée que le Maroc a bien fait les choses. Réaction rapide à l’arrivée de la pandémie de Covid-19 sur nos terres, mesures drastiques, ouverture en grand des mannes financières de l’Etat, branle-bas de combat hospitalier… Dès le départ, le roi – fort heureusement à la manœuvre – avait enjoint au gouvernement de tout dire, d’assurer la transparence et de soigner la gouvernance.
On connaît bien la formule de « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité »… On convient qu’on peut « dire la vérité », « rien que la vérité », mais « toute la vérité » n’est pas toujours possible, en raison, entre autres, à des impératifs de sécurité et d’évitement de psychose générale. Le problème n’est donc pas de « dire toute la vérité », mais la façon de ne « dire » que la vérité. Tout l’art consiste en l’art et la manière de dire les choses… Et si le Maroc (officiel ou non) a fait des pas de géant dans bien des domaines durant les deux derniers mois, il a encore bien des choses à apprendre dans le fait de « dire » en période dure, ce qu’on appelle communément la communication de crise.
A sa décharge, notre gouvernement, comme les autres affolé, a été frappé de stupeur quand la vague s’est brusquement approchée, frappant l’Italie, puis la France, puis l’Espagne. Et la stupeur, on le sait, stoppe la saine réflexion et crée une vaine fébrilité. Mais pour autant, les mesures édictées ont été sages, et globalement respectées.
Ce que le gouvernement a oublié est qu’en pareils cas, et surtout en 2020, la communication de crise doit être bien pensée. Donner l’info, expliquer les faits et démentir les fakes. Sur ce plan, l’efficacité de la communication a suivi la tendance épidémique : elle monta en puissance en début et baissa en intensité et en efficacité après… La grande erreur des pouvoirs publics, semble-t-il, est de ne pas s’être adjoint un pool de communicateurs qui veillent, surveillent et conseillent sur les conduites à tenir.
Ainsi, la communication des statistiques sanitaires a été mal conduite, avec des changements des personnes chargées de l’exercice quotidien d’annoncer les derniers chiffres, alors même qu’en situation de catastrophe naturelle (ce à quoi on a échappé), les gens aiment se sentir en sécurité, avec un visage connu, apaisant, efficace et compétent. C’était le cas de Mohamed el Youbi, mais celui-ci entra en conflit avec son ministre.
Par ailleurs, les prestations télévisées de Saadeddine Elotmani étaient mal préparées, semblant même parfois improvisées, donnant le sentiment que l’homme était chef d’un gouvernement fantôme qui aurait, qui a, cédé la place à un Comité de veille économique lancé à toute vapeur. Le point d’orgue de cette fébrilité survint quand le 18 mai, M. Elotmani annonce la prolongation du confinement au 10 juin et que le lendemain, « son » ministre des Finances Mohamed Benchaaboun surgit et lance un appel aux entreprises pour redémarrer. Puis, hier 2 juin, le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit, un faucon de qualité remarquable, martèle que le confinement est et sera jusqu’au 10 juin, mais nous autres, citoyens moyens qui avons vécu ces deux derniers mois, constatons que les rues de nos villes ressemblent davantage à l’avant 20 mars 2020 qu’aux jours qui l’ont suivi, quand les rues étaient quasiment désertes.
Puis il y a eu le cas de ce projet de loi de si mauvais aloi sur les réseaux sociaux, qui a donné lieu à un recul en catastrophe du gouvernement, ses membres optant tous pour le « c’est pas moi, c’est lui ! ». En termes de solidarité gouvernementale, on fait mieux… comme pour ce ministre, Hassan Abyaba, prestement viré, sans autre explication que… pas un mot.
Quant à l’affaire de nos compatriotes bloqués à l’étranger, précarisés puis paupérisés, ostracisés et très naturellement scandalisés, pas un mot hormis « c’est proche, inchallah ». Le ministre des AE Nasser Bourita ne dit rien, joue l’arlésienne et renvoie héroïquement la balle à son collègue de la Santé qui, lui, dit n’importe quoi, laissant des dizaines de milliers des nôtres douter d’eux-mêmes et de leur pays !
Ce n’est pas tous les jours que les Marocains sont sanitairement confinés chez eux et que l’armée est pacifiquement déployée dehors, que les banques consentent à mettre la main à la poche, que les riches ouvrent (sans la casser) leur tirelire, que les informels sont recensés et indemnisés, que la recherche nationale sort de son hibernation, que la digitalisation n’est plus de la fiction, que la solidarité bat son plein… Durant cette période, tout a changé, sauf la communication du gouvernement, où l’autoglorification bat son plein mais où personne ne bat sa coulpe…
On peut comprendre, mais si et seulement si la leçon de la nécessité de la communication de crise honnête, rapide et efficace est bien comprise.
Aziz Boucetta