(Billet 348) – Un déconfinement déraiZONEable

Il faut bien que le confinement et les mesures drastiques prises depuis près trois mois aient une fin, mais cette fin ne peut survenir en un seul bloc. Le Maroc a échappé au pire et le Maroc officiel prépare la sortie de la torpeur générale dans laquelle le pays est plongé depuis le 20 mars. Le royaume est ainsi et désormais divisé en deux zones, mais si la zone 1 peut sortir, les gens de la zone 2 ne sont pas encore sortis de l’auberge.
Et bien évidemment, en toute logique, les habitants de la zone 2 (Casablanca et environs, Rabat et environs, Tanger et Marrakech) ont rué dans les brancards, à tort et à raison. Ils sont en tort parce que les acquis réalisés en termes de lutte contre la pandémie sont incontestablement bons, et qu’il ne faut surtout pas prendre le risque de tomber dans ce qu’on appelle communément – et mystérieusement – nune « seconde vague ». Ils ont raison car quand on examine l’information révélée par le chef du gouvernement, une chose saute aux yeux : les mesures concernant cette zone 2 ont manifestement été rédigées à la va-vite.
En gros, sur les quatre mesures pompeusement qualifiées de « mesures d’assouplissement au niveau des provinces et préfectures de la zone 2 », le seul véritable allègement est le report de l’heure de fermeture des commerces de 18 à 20h. Les autres « mesures d’assouplissement » sont en réalité une manœuvre d’assoupissement de l’impatience, voire de la colère des gens. Raté.
Le problème se situe encore, et da façon plus criante, au niveau de la communication. Le gouvernement prend certainement les mesures nécessaires, mais il les vend mal, très mal, scandaleusement mal. D’abord un communiqué conjoint Intérieur/Santé qui tombe au milieu de la nuit, froid et sec, définissant les deux zones et les mesures dites d’allègement. Puis, dans un second temps, une jolie illustration, produite par les infographistes nocturnes de la chefferie du gouvernement, avec tableaux, couleurs, belle mise en page et en image…
Tout cela aurait pu être fait autrement : d’abord en en débattant publiquement pour préparer les populations harassées et au bord de la colère, et ensuite, puisque le retard de com est là, le gouvernement aurait pu laisser cette primeur à la déclaration solennelle de M. Saadeddine Elotmani, cet après-midi du 10 juin. De l’art de torpiller les meilleures résolutions et les meilleures décisions… car en effet, il est nécessaire d’y aller progressivement. Il aurait été meilleur d’y aller aussi délicatement et, rêvons, intelligemment.
La gestion de la crise par le gouvernement marocain ressemble à s’y méprendre et depuis le début à celle retenue en France… Il n’y a pas de problème à cela, puisque nous avons eu des résultats nettement meilleurs, mais pourquoi ne pas avoir tout pris, et essentiellement en matière de communication ? Chez eux, les ministres de l’Intérieur et de la Santé sont partout, interviennent en tout et répondent à (presque) tout et à tous. C’est exactement l’inverse qui se fait sous nos cieux, et voilà qu’on nous apprend ce qu’on avait remarqué depuis longtemps déjà : la gestion de tout cela, c’est finalement le ministère de l’Intérieur, avec son ministre, ses walis, ses gouverneurs, ses caïds, ses chioukhs, ses moqaddem… et ses travers !
Quels sont les critères pour passer d’une zone à l’autre ? Qui décide de ces critères, et comment en décide-t-il ? Pourquoi les villes de la zone 2 n’ont-elles bénéficié de pratiquement aucun allègement ? A-t-on pensé au désarroi des uns et à l’effroi des autres parmi les populations de la zone 2, et si oui, quelles mesures de nature psychologique sont-elles prises, si réflexion il y eut à ce sujet ? A-t-on pensé au sentiment d’injustice qui étreindra, puis étranglera les populations de cette zone 2, lesquels, quand même, assurent près des deux tiers de l’activité économique du pays ?
L’Etat a jusque-là bien fait les choses, mais il a singulièrement péché par manque de communication. Aujourd’hui, alors que le monde sort du confinement et puisque le Maroc affiche des chiffres plus qu’encourageants, il appartient au gouvernement de prendre ses responsabilités, de prendre aussi de l’assurance, d’apprendre à communiquer, et de lâcher les gens, quitte à maintenir l’état d’urgence sanitaire, au cas où… Autrement, il laissera la défiance d’avant-mars se réinstaller, et la défiance est un virus autrement plus difficile à combattre !
Aziz Boucetta