(Billet 351) – Regroupement des malades Covid-19… entre la carotte et le bâton

Samedi soir, la nuit tombe doucement sur un pays qui vit tout aussi doucement… les gens s’apprêtent à passer leur soirée en famille quand, soudain, tombe un communiqué conjoint des ministres de l’Intérieur et de la Santé. On y annonce assez brutalement le transfert des quelques 700 cas Covid au Maroc vers les installations sanitaires de Benguérir et de Benslimane, et dans la foulée, une levée progressive du confinement dès le 20. Remarques sur un communiqué étrange où le bâton ressemble à une carotte, et inversement…
1/ Un ton sûr, serein et assuré. Le communiqué sonne certes comme une fin de crise, mais il détonne par son originalité. D’abord très gentil, il reconnaît le rôle de tout le monde, et pas seulement de l’administration, laquelle rappelle invariablement les instructions royales. Dans le communiqué, l’administration conserve le beau rôle, qu’elle mérite effectivement, mais elle le partage clairement avec « le citoyen et l’ensemble des composantes de la société civile ».
2/ L’effort de l’argumentaire. Deux raisons président à la décision du regroupement dans les structures sanitaires : le besoin de « protéger l’environnement familial et professionnel » des malades actuels et futurs, mais aussi et surtout l’impérieuse nécessité de libérer les hôpitaux pour soigner les autres pathologies. L’argument est bon comme un bâton, car c’est là que réside toute la finesse du communiqué qui explique en filigrane qu’il vaut mieux être prudent, respecter les gestes barrières, éviter la promiscuité, porter le masque… pour ne pas avoir à se trouver éloigné de sa famille ou voir un proche l’être.
3/ La composante militaire. Depuis le début, l’armée était présente, avec ses médecins mais aussi avec ses troupes, pour « au cas où… ». Les « structures sanitaires » de Benguérir et de Benslimane sont militaires. Les malades seront donc pris en charge par les FAR, avec certes la présence de médecins civils, mais dans une enceinte militaire. C’est inédit, mais c’est rassurant quant à la qualité des soins et de l’hébergement, certainement sobre, mais confortable, avec distanciation physique mais « sans distinction sociale »…
4/ Un marketing insuffisant. Alors que le chef du gouvernement venait de s’exprimer dans la semaine et qu’il n’a rien dit de cela, la survenue de ce communiqué un samedi en milieu de soirée reste une chose incongrue. Ce n’est pas la première fois, l’Intérieur travaillant semble-t-il la nuit, mais on aurait pu choisir un autre timing pour annoncer la prise en mains des choses par la Santé, l’Intérieur et les FAR, et une autre manière aussi. Cela aurait évité les aimables suspicions de « goulag », ou la très réjouissante assimilation des malades Covid à des « lépreux » … « Regrouper des gens », cela fait toujours remonter des souvenirs douloureux.
Rien de tout cela n’est vrai bien évidemment. L’armée est professionnelle et les médecins, civils ou militaires, sont responsables, cela ne fait aucun doute. Mais ce regroupement impliquant une contrainte pour les patients et un désagrément pour leurs proches, d’autres mesures auraient pu être prises : Visites sécurisées des familles sur rendez-vous, accès des médias, contrôlé mais accès quand même, meilleur marketing pour « vendre » la décision.
5/ La carotte. Les auteurs du communiqué ont fait en sorte que le lecteur du communiqué reste sur un sentiment positif. Le texte se termine par cette phrase : « Cette mesure permettra d’accélérer, à partir du 20 juin, le processus de levée progressive du confinement et ce, tout en tenant compte de l’évolution de la situation épidémiologique du Royaume ». Enfin, le déconfinement est annoncé, par des gens sérieux, et à des conditions qui sont déjà remplies…
La mesure prise par le Maroc – isoler, regrouper, éloigner, installer dans une structure militaire, et soigner – semble inédite dans le monde. Elle doit être accompagnée de mesures pour l’adoucir : que les gens soient informés de ce qui se produit dans les structures, et que les familles aient droit de visiter les leurs. Le bâton deviendrait alors complètement une carotte.
Aziz Boucetta