(Billet 354)– Pour M. Ramid, rester ou partir sans demander son reste, telle est la question...

(Billet 354)– Pour M. Ramid, rester ou partir sans demander son reste, telle est la question...

 

L’homme qui réagit habituellement plus vite que son ombre reste aujourd’hui tapi dans l’ombre, traqué pourtant par les projecteurs de l’actualité brûlante… Mostafa Ramid a employé une dame, qui vient de décéder, 32 années durant, et il n’a jamais payé ses charges sociales ; en un mot, M. Ramid aurait fait travailler « au noir », dans l’illégalité donc, une assistante. L’homme est dans les cordes, KO debout, lacéré, déchiqueté par l’opinion publique qui s’offusque, se révolte, juge, condamne et attend l’exécution. Or, cette affaire a un triple volet : le professionnel et le politique. Et le moral.

Sur le plan de l’éthique professionnelle, et de la loi, Mostafa Ramid est incontestablement en faute. Il est juriste et connaît la loi. Son cabinet est prospère et peut financièrement, en plus de devoir légalement, payer toutes les charges sociales et fiscales de ses employés. Au niveau politique, l’homme est un personnage central du champ politique national ; mais ancien ministre de la Justice et des Libertés, aujourd’hui ministre d’Etat, chargé des droits de l’Homme, il aura fait montre dans cette affaire de coupable négligence ou d’irresponsable insouciance.

Le tribunal du peuple, le peuple branché et connecté, a jugé, condamné et se prépare à exécuter le coupable, insultes à l’appui, le privant de tout droit de se défendre. Celles et ceux qui l’accablent aujourd’hui au nom du droit procèdent exactement de la manière d’agir qu’ils disent vouloir pourfendre, oubliant les principes qu’ils disent vouloir défendre. A-t-on entendu l’autre version ? La voici, servie à visage découvert par la famille de la défunte : Mostafa Ramid a toujours été un patron vertueux, empathique, soucieux de l’intérêt de ses employés, de tous grades et de toutes fonctions, et l’assistante aujourd’hui décédée était la cheville ouvrière de son cabinet.

La relation liant cette dernière à Me Ramid était quasi familiale et la faute du ministre des droits de l’Homme a été réglée, moralement et financièrement sur le plan familial ; il a en effet remis à la défunte une somme de 250.000 DH. Ceci est une certitude, une affirmation, une vérité… qui n’enlève cependant rien à la responsabilité légale de Mostafa Ramid, même s’il est connu pour être un homme animé par des valeurs de probité (si cela n’avait pas été le cas, en huit ans au gouvernement, cela se serait su). Est-ce une raison pour l’insulter, le traîner dans la fange, lui dénier tout droit à l’erreur ? C’est ce que fait le « tribunal du peuple » qui, par essence, a le gibet facile. Sommes-nous des juges pour juger ? Des bourreaux pour exécuter ? Non, surtout quand la « partie civile », la famille de la défunte, monte au créneau pour prendre la défense de « l’accusé ».

Ne pas être d’accord avec lui sur nombre de questions (peine de mort, islamisme exacerbé, bigamie…) ne réduit en rien son apport à la justice du pays et ne remet nullement en cause sa probité financière. Cet homme a en effet changé beaucoup de choses dans le fonctionnement de la justice, en bien pour certains, en mal pour d’autres. Il a fait le job politique, honnêtement, dans le respect de ses convictions. Telle est la dure loi de la politique et des élections, et c’est par le vote que le PJD sera vaincu, pas par l’invective.

Ce genre de comportements et d’hystérie collective ad hominem est exactement ce que le Maroc qui a su se montrer si beau durant la crise sanitaire – malgré les hiatus – disait vouloir éviter. Ne retombons pas dans ces clivages, ces jugements à l’emporte-pièce et ces exécutions publiques. Son cabinet peut, voire doit, être sanctionné par la justice pour infraction à la législation du travail, et peut-être aussi par l’Ordre des avocats, sauf que dans ce cas, il faudrait aussi sanctionner des dizaines, des centaines, peut-être des milliers de cabinets d’avocats ou de médecins, d’agences d’architecture…

Sur le plan politique, cependant, M. Ramid a une décision à prendre, car il est responsable, moralement. Il doit démissionner. La décision lui revient. S’il le fait, la tête haute, il basculera de ministre d’Etat à homme d’Etat, avec l’aura de celui qui aura accepté de sacrifier sa carrière à son éthique ; comme pour son pair PJDiste Lahcen Daoudi, qui avait eu l’élégance de démissionner après une action contestée, il aura fait ce qu’il lui appartenait de faire, le sort de sa démission ne dépendant plus alors de lui. S’il garde le silence et attend que la vague passe, elle ne passera pas et lui trépassera, en tombant dans les oubliettes de la politique, l’intégrité morale en lambeaux. Et partira quand même.

Comme disait un Ancien, « le plus important dans la fonction de ministre est de devenir un bon ancien ministre. On est ministre quelques années, on est ancien ministre le reste de la vie ». C’est à M. Ramid de décider s’il accorde plus d’importance à sa fonction actuelle ou à sa réputation future.

Et n’oublions pas, nous Marocains, que notre pays doit sortir de la Covid-19 plus fort qu’il n’y est entré. Pour cela, il est important que les gouvernants soient dans l’exemplarité (Mostafa Ramid n’est pas le seul ministre bousculé pour une affaire de légalité et/ou moralité financière) et que les citoyens sachent penser avec la tête et non avec les tripes.

Aziz Boucetta

 

 

 



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