(Billet 448) – L’ONU kiffe le cannabis… le Maroc désormais entre plantage et plantation…

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), vient de reconnaître que le cannabis est une plante moins dangereuse qu’il n’y paraît et plus utile qu’on ne le pense. En termes plus profanes, le cannabis est une plante médicinale potentiellement bienfaitrice. Le Maroc regorge de cette plante, mais il l’ignore, l’ostracise et même combat ses cultivateurs parce que « le cannabis est une drogue ». Les choses ayant donc évolué à l’international, que feront les nationaux ?
« La décision pourrait également conduire à des recherches scientifiques supplémentaires sur les propriétés médicinales de la plante et agir comme un catalyseur pour que les pays légalisent la drogue à usage médical et reconsidèrent les lois sur son usage récréatif » … Cela, c’est l’ONU qui le dit, après un vote certes serré, mais vote quand même, au sein de la Commission des stupéfiants des Nations Unies (CND), par 27 voix contre 25 ; le cannabis n’est ainsi plus considéré comme plante dangereuse, sans effet thérapeutique. On retiendra que le Maroc a voté pour !
Alors que signifie cette décision, concrètement ? Que depuis longtemps, le Maroc se plante dans sa politique du cannabis ? Que le gouvernement nous enfume avec ses critères de morale et de protection des populations ? Qu’entre la prose sur les éléphants roses et la réalité scientifique, il existe un fossé ?
Et de fait, voici des chiffres indicatifs : Le Maroc compte entre 1 et 1,5 million d’usagers de drogue, dont 95% de consommateurs de cannabis (Observatoire national des drogues, 2014), et ce sont environ 50.000 hectares qui sont cultivés, essentiellement dans la région du Rif. On évoque un chiffre d’affaires potentiel, forcément imprécis car clandestin, de 15 à 50 milliards de DH annuellement, et une centaine de milliers de ménages, soit près de 1 million de personnes, qui en vivent. Selon une récente étude réalisée par l’Union européenne, la culture et l’industrie du cannabis pourrait rapporter au Maroc un volume d’affaires avoisinant le milliard de dollars dès… 2023.
L’usage du cannabis, en dehors du récréatif, est médical, pharmaceutique, industriel, avec la fabrication de semelles, de plaques d’étanchéité, d’agglomérés pour la construction, de cordes, de semelles, de produits cosmétiques… Sans compter son export pour l’usage récréatif, puisque plusieurs pays européens en ont légalisé la consommation. Il faut juste travailler sur son principe actif, le tétrahydrocannabinol (ou THC pour les amis), dont la teneur a été augmentée ces dernières années.
Faut-il légaliser la production de cannabis ? Faut-il en dépénaliser la consommation ? Faut-il entreprendre des recherches pour déterminer le seuil d’équilibre entre production, consommation récréative et usage industriel ? Il est surtout important d’ouvrir et de lancer le débat, un débat serein et dépassionné !
Les opposants à toute discussion sur le cannabis viennent de perdre l’atout maître de l’ONU sur lequel ils se fondaient pour interdire toute réflexion sur la culture du kif. La dimension culturelle a pris le relais, sachant que l’alcool, plus nocif, est joyeusement consommé sous nos cieux et allégrement produit sur nos terres. Quant à l’idéologie et la pose religieuse, elles ont connu leurs grands jours dans la lutte contre cette culture, qui est aussi dans notre culture.
Aujourd’hui, avec la crise sanitaire dans le pays et la paupérisation sensible de sa population, et suite à cette décision de l’ONU qui coïncide avec la production imminente du rapport de la Commission sur le modèle de développement (CSMD), il est plus que temps d’ouvrir ce débat sur le cannabis, et revenir à la proposition émise en son temps par Ilyas el Omari de créer une Agence nationale qui gérerait la question : études scientifiques et production de semences avec moins de THC, distribution de ces grains aux cultivateurs, récupération de la production et destruction des surplus, dispatching sur les réseaux industriels et/ou les circuits commerciaux…
Une commission interministérielle pourrait être mise sur pied pour lancer un dialogue national. Transversale, elle impliquerait les départements de la Recherche scientifique, de l’Agriculture, de l’Industrie, du Commerce, de la Jeunesse, du Tourisme et bien entendu, de l’incontournable Intérieur…
Et pour être percutante, une telle décision, face à un gouvernement incapable et à des partis impotents, ne peut être prise qu’à un niveau supérieur, qu’au niveau supérieur.
Aziz Boucetta
Les chiffres, pour planter le décor… implantées, hallucinogène, fumer ça ou de la moquette