(Billet 1152) – Abdelilah Benkirane reste, certains pestent, mais le PJD revient…

(Billet 1152) – Abdelilah Benkirane reste, certains pestent, mais le PJD revient…

Et le PJD se normalisa. Abdelilah Benkirane succède à Abdelilah Benkirane à la tête d’un parti au fonctionnement indéniablement démocratique mais qui pâtit de ne pas être peuplé de démocrates mais de fans et de groupies de l’ancien/nouveau (futur ?) secrétaire général du PJD. Après un premier tour serré, très serré entre M. Benkirane et Driss el Azami el Idrissi (3 voix de différence), le premier a creusé l’écart avec le second au tour suivant. Cette élection n’est pas une bonne nouvelle non plus pour le chef du gouvernement Aziz Akhannouch.

Abdelilah Benkirane aura donc choisi de rester mais sans le déclarer, les règles du PJD – comme celle du Saint-Siège, actualité oblige – ne prévoyant pas de candidature spontanée ; mais une personne portée par le congrès et nominée à son insu peut décliner et se retirer, laissant la place à de plus jeunes, plus technos, plus consensuels dirigeants. M. Benkirane, 71 ans, aurait pu agir ainsi quand, à l’issue du premier tour, il avait constaté qu’avec 163 voix, il ne devançait son ancien ministre du Budget et ancien maire de Fès que de trois petits suffrages. Réélu secrétaire général avec 974 voix (sur 1.402) contre 374 pour M. el Idrissi, ce résultat indique pourtant au sortant qu’il ne fait plus unanimité. Et donc, par la force des choses et de la logique, le second devient 1er adjoint au secrétaire général ; laissant le leadership tonitruant au chef, le sous-chef deviendrait donc la tête pensante et agissante du PJD.

Mais au-delà de la « crise » de leadership du parti qui n’aura pas su faire émerger une nouvelle génération, et cela est marqué par la présence d’anciennes figures un temps escamotées, avant de retourner sous les projecteurs (MM. Moatassim, Yatim, Amekraz, Bouqariî, Khalfi, Mme Maelainine…), la question de savoir « pourquoi re-Benkirane ? » mérite d’être posée. En effet, l’ancien chef du gouvernement avait accepté de reprendre les rênes du parti en lambeaux, ne tenant que par le poil d’une barbe et le fil d’un voile, après la calamiteuse période Elotmani, caractérisée par un maintien du PJD au gouvernement sous écrasante domination RNI, l’accord pour les relations avec Israël, des dissensions internes… M. Benkirane aura réussi, depuis 2021, à empêcher que le paquebot tanguant ne sombre dans les flots tumultueux et passablement fangeux de la politique marocaine ; aujourd’hui, il devra le redresser et le mettre en ligne pour les élections à venir. Le succès éclatant du congrès aura prouvé que cela est possible, et Aziz Akhannouch serait en droit de s’inquiéter, car Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement, sait… Il sait et, le moment venu, il ne se gênera pas pour dire ce qu’il sait. Et si ce qu’il sait est su, cela créera bien des problèmes au chef du gouvernement actuel.

Il est inconvenant, donc, comme le font nombre d’observateurs, d’insulter l’ancien chef du gouvernement, de le moquer pour ses attitudes humbles (mais populistes et ô combien électoralistes), de l’éreinter pour sa retraite confortable (il ne s’est ni enrichi pas plus qu’il n’a bénéficié d’un conflit d’intérêt lors de son passage à la présidence du gouvernement)… Cet homme fut, justement, chef du gouvernement ; il a représenté le Maroc, qu’on le veuille ou pas. L’insulter ou le rabaisser est indigne de notre pays et nous lèse tous. Mais, pour autant, il devrait, quant à lui, se limiter à son rôle politique et ne pas empiéter sur le domaine religieux ; il est leader politique, pas dignitaire ou exégète religieux. Il exprime son avis comme il en a le droit, mais il doit accepter et écouter celui des autres sans les excommunier ou les qualifier de traîtres ou, plus prosaïquement, les insulter. Cela le disqualifie moralement et le discrédite politiquement.

Quant au congrès en lui-même, il aura montré une capacité du PJD à comprendre les critiques. Aucune délégation du Hamas, par exemple, n’était à Bouznika ; s’il est vrai que c’est parce que les leaders du groupe palestinien n’ont pas reçu de visa d’entrée au royaume, alors le gouvernement aura singulièrement aidé le PJD à se défaire de cette « patate chaude » et à en tirer des bénéfices politiques et électoraux. En outre, s’il se confirme que le ministère de l’Intérieur n’a pas versé au PJD sa contribution à l’organisation du congrès, alors le gouvernement aura encore une fois aidé le parti à se mobiliser et à se solidariser – à l’occasion à se victimiser – pour compenser la subvention publique. En outre, enfin, dans les travées du congrès, la Palestine était fortement présente, jusques-y compris, avec un certain excès, à travers tous ces keffiehs noués sur les épaules des congressistes ! La Palestine était donc fortement présente, mais comme la question de notre intégrité territoriale même si, oui, absolument, ces deux questions qu’on présente comme d’égale importance pour le Maroc ne le sont pas ! Les gens du PJD devraient enfin et définitivement l’admettre. Gaza oui, sans aucun doute, mais Casa et Taza aussi, quand même, un peu plus même.

Et maintenant ? Le PJD a-t-il vraiment une chance de revenir en pole position aux législatives 2026 ? La réponse dépend de l’électorat. Au pic de sa puissance, le parti n’a pas dépassé les 2 millions de suffrages, sur une masse électorale de plus de 15 millions de personnes. Ces électeurs sont nos compatriotes ; les insulter, les mépriser ne conduit à rien, sauf à diviser une société connue pourtant pour son unité ; leur force est dans leur unité et leur mobilisation, contrairement aux 13 autres millions d’autres électeurs qui, unis ou rationalisés, relègueraient le PJD dans les tréfonds des urnes. Las… Dans les prochains mois, M. Benkirane fera donc certainement du Benkirane, mais il devra se départir de sa posture provocatrice et à l’occasion outrageuse et outrancière, pour adopter une attitude plus politique, et le RNI, qui piaffe pour se maintenir, mettra le paquet avec sa tornade bleue. La Lanterne rallumée consumera-t-elle la Colombe abîmée et sa traînée bleue ? Peut-être que oui, peut-être que non, mais les deux s’affaibliront et sans doute même s’annuleront.

Le PJD de M. Benkirane, en 2026, devra revoir à la hausse ses chances mais à la baisse ses ambitions ; il remontera, grâce à son chef, mais pas assez haut, à cause de son chef. Il devra dès maintenant s'adapter aux nouvelles contraintes géopolitiques, se repenser mais aussi penser à une alliance, voire même un amarrage, à cet autre parti conservateur mais moderniste, techno avec des embardées conservatrices, qu’est l’Istiqlal… l’Istiqlal avec ses alliés naturels de la Koutla.

Aujourd’hui, pour demain, pour cette très critique période 2026-2031, le risque (pour ne pas dire le péril) ne viendra pas, plus, du PJD, comme on le dit bien souvent, mais du RNI, comme on l’oublie trop souvent…

Aziz Boucetta



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