(Billet 1134) – Ces débats que nous aimerions voir... mais que nous ne verrons pas !

Le temps passe et l’ennui s’installe devant cette classe politique qui parle peu, ou pas, ou pour dire n’importe quoi. Cela a été dit et redit et il semblerait que bien malheureusement, rien ne se fera, et le bateau Maroc continuera de voguer paisiblement – enfin, on l’espère… – jusqu’à la prochaine escale électorale. Oh, on parle bien de choses et d’autres, on débat aussi de temps en temps, mais rien sur les grands sujets brûlants du moment, hors marronniers habituels ! Alors, puisqu’on ne verra rien de véritablement exciting comme disent nos (encore) amis américains, faisons donc un rêve et imaginons ces débats.
Ce qui suit relève donc de la pure fiction et, pour les concernés, de la vision d’horreur.
1/ Débat Leila Benali vs Mohammed Benmoussa. Elle, elle est ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, et elle y a appris à durer ; tête bien pleine, peut-être même bien faite aussi, connaissant ses dossiers aussi peu qu’elle maîtrise son Verbe ; lui, il sait à peu près tout, mais en économie au moins, c’est sûr, et il s’est fait une spécialité, une passion, parfois on peut même penser obsession, de la raffinerie la Samir. Elle refuse d’en parler, diluant toujours le débat ou l’évitant, et lui persiste à vouloir un débat public. Mais parions que Leila Benali restera la bouche aussi fermée que la raffinerie.
2/ Débat Nasser Bourita vs un journaliste connaisseur en diplomatie. Lui, Nasser Bourita parle peu, ne dit jamais n’importe quoi, mais ne parle pas à n’importe qui. C’est son problème. Sauf que son souci numéro 1, le Sahara, est aussi celui des Marocains et lui-même dit – quand il parle, bien sûr – que le Sahara est l’affaire de tous. Bon, il remporte bien des succès et l’affaire avance plutôt bien. Mais quand il y a des revers, ce n’est pas bien grave, sauf qu’il faut quand même les expliquer à une population qui a bien aidé, par son comportement et sa loyauté, aux innombrables succès de M. Bourita. Pourquoi n’expliquerait-il pas, devant un journaliste chevronné, ou un universitaire spécialisé en diplomatie, le pourquoi du comment de la non-élection de la Marocaine à la vice-présidence de l’UA en février dernier ? Rien de bien important certes, mais on aimerait bien savoir, parfois… On nous explique bien les nombreuses réussites, alors pourquoi pas les rares revers, surtout qu’il n’y a pas eu que le cas de la vice-présidence de l’UA ?...
3/ Débat ministre de l’Agriculture (on ne connaît pas encore très bien son nom) vs un journaliste compétent dans le domaine hydrique ou un spécialiste dans le domaine. Le ministre est un ancien cadre du ministère, il n’endossera rien, mais peut tout expliquer, ou une grande partie. Pourquoi Maroc Vert ? Les cultures d‘exportation au détriment des cultures de consommation locale ? Les devises contre l’eau ? La sécurité alimentaire ? Deux trois mots sur cette question de spéculation en (entre autres) viandes à l’import ? M. le Ministre pourrait bien faire un petit effort, histoire de se faire connaître.
4/ Débat ministre de la Santé (euh… M. Tahraoui) vs Saad Taoujni. Le ministre est venu à la Santé au terme d’un parcours très peu formateur dans le domaine, quoique très intéressant et certainement valorisant, de cadre d’entreprise ; un haut cadre d’une grande entreprise, c’est bien, mais cela ne forme pas pour réformer une santé en méforme. Saad Taoujni, lui, est un des meilleurs spécialistes marocains en matière de politique de santé, et il est accrocheur, pugnace, informé. M. le Ministre nous dira alors combien de médecins il nous reste, de combien nous avons besoin, quel est le sort de l’hôpital public et quelle destinée pour le secteur privé et ses fleurons… où en est le casse-tête des médicaments, leur production et leur prix, l’assurance, l’industrie… enfin, ce genre de questions, pour lesquelles il serait très intéressant d’avoir des réponses.
5/ Débat Abdellatif Ouahbi vs un juriste ou journaliste ou simplement un énervé. Le ministre a de la verve et du verbe, il assume et souvent aussi assure, mais il est un as de l’embardée mal calculée. Alors embardons avec lui : quelle est son explication pour ne pas accélérer une loi sur l’enrichissement illicite, sur le conflit d’intérêt et sur la possibilité des associations de la société civile d’ester contre des élus indélicats ? Laissons de côté les questions religieuses épineuses de l’héritage ou les problématiques de la parité de genre et posons-lui juste ces questions. Sa verve ne servira à rien, son verbe sera attendu.
6/ Débat groupé des chefs de la majorité, Aziz Akhannouch, Mehdi Bensaïd et Nizar Baraka vs un duo de journalistes politiques qui les interrogeraient sur eux et leurs partis, leurs politiques et leur majorité, les anciennes promesses et les prochaines élections… sur l’éthique d’une majorité qui ne fait rien contre la corruption et refuse de légiférer sur les questions de moralisation… sur la confiance en berne des populations, sur l’efficacité d’une majorité qui dit « délivrer » les grands programmes de la protection universelle et de l’éducation pour tous. Ce serait bien de venir en débattre en public…
7/ Débat M. Berrada, ministre de l’Education nationale, du Préscolaire et des Sports, avec n’importe qui. Le plus important n’est pas d’interroger mais d’écouter. On sait que M. Berrada doit à peine savoir qu’il est ministre aussi du Préscolaire (par bonheur, une Fondation s’en occupe plutôt bien) et des Sports (livrés à eux-mêmes) ; mais cela fait quatre mois qu’il est là, le ministre, entrepreneur prospère de son état que rien ne prédisposait à diriger l’éducation et son armée de dizaines de milliers de fonctionnaires, et il a dû apprendre plus ou moins de choses sur l’éducation et ses innombrables et quasi insurmontables problèmes. A-t-il une solution ? Nous aimerions savoir, si possible, sinon… pas grave, on a l’habitude.
8/ Débat Abdelouafi Laftit vs (embarras du choix). Le ministre de l’Intérieur pourrait juste répondre à cette accusation jamais explicitement formulée mais toujours dans les esprits que s’il n’y a pas de grands maires et de grands élus locaux, connus et réputés nationalement, c’est parce que les walis et les gouverneurs ne les laissent pas, les étouffent. M. Laftit pourrait révéler si ses « patrons » territoriaux (les walis) reçoivent de telles instructions, comme on les en accuse, ou alors dire quelques vérités – s’il peut, s’il veut – sur les profils des maires et présidents de région, et peut-être aussi sur les partis, leurs retards, leurs irrégularités. Ce serait instructif.
9/ Débat Ryad Mezzour vs un économiste ou juriste ou journaliste. Dans ministre de l’Industrie et du Commerce, il y a commerce, et le problème, le gros problème de la spéculation est toujours là, renaissant comme une hydre, sous la même forme ou non, et il relève du Commerce. M. Mezzour, contrairement à bien d’autres de ses pairs, parle, et il parle bien… et parfois même trop, pour ne pas en dire assez. Comme cette foi, à la télé, où il évoqué le chiffre de 18 spéculateurs. Un débat ouvert sur cette question de la spéculation (sont-ils bien 18, et alors ils devraient être poursuivis, ou sont-ils plus ?), sur l’intermédiation et sur la réglementation d’une manière plus générale. On parle beaucoup d’inflation, et l’inflation se manifeste fatalement, s’incarne par essence dans le commerce. D’où un débat, qui ne devrait pas être si utopique, connaissant la disponibilité et la volubilité de M. Mezzour.
10/ Débat Mme Driouich, secrétaire d’Etat à la Pêche maritime vs un des pêcheurs qu’elle a dernièrement rencontré à la halle de Casablanca. Les questions sont simples : Pourquoi rien (ou très peu) de ce qui est dit par le gouvernement n’est vrai sur le terrain, et pourquoi rien de ce qui est vrai sur le terrain n’est admis par le gouvernement ? Pourquoi « oligopoliser » le commerce, ne pas « libéraliser » le commerce direct des agriculteurs et « libérer » l’activité des intermédiaires ? Pourquoi la sardine coûte aussi honteusement cher ? Pourquoi et comment un jeune homme, Abdelilah El Jabouni de son nom, « Moul l'hout » pour l’alias, a-t-il pu faire mieux que le gouvernement ?
11/ Débat Mohsine Jazouli vs un journaliste économiste. Maintenant qu’il est ancien ministre et qu’il est un peu délié de ce qu’on peut admettre avoir été une obligation de réserve lorsqu’il était de service, il peut parler, et expliquer ce qu’il a fait et pourquoi ce gouvernement Akhannouch est si bon. En effet, M. Jazouli, en plus de l’Investissement, fut ministre de la Convergence et de l’Evaluation des politiques publiques. Devant quelqu’un qui connaît aussi les politiques publiques, M. Jazouli pourrait expliquer ce qui converge, et donc en creux ce qui diverge, et aussi quelles sont les politiques publiques auxquelles il a assisté ou participé, et comment les évalue-t-il ? Car, en dehors des satisfécits des actuels ministres et de leur chef, on ne sait pas grand-chose de ce qui a été fait, en dehors des programmes royaux.
12/ Débat Fatima Zahra Ammor vs Othmane Cherif Alami. Mme Ammor, depuis qu’elle est ministre du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire, parle beaucoup et presque exclusivement du Tourisme. Pour l’artisanat, elle a beaucoup d’idées qui attendent leur mise en œuvre et l’ESS atend toujours, avec une louable patience, son cadre légal. Mais avec Othmane Cherif Alami, opérateur touristique d’importance, elle pourrait expliquer ces chiffres de touristes par millions, leur composition, leur véritable intérêt, et elle pourrait même expliquer comment le Maroc, avec ses différentes Stratégies, Plans et Visions, depuis 40 ans, n’a su et pu séduire qu’une poignée de millions de touristes étrangers. Pas binationaux, étrangers.
13/ Et, bien évidemment, le meilleur pour la fin, débat Aziz Akhannouch avec… qui il veut, mais un externe de sa sphère d’influence ! L’entendre répondre serait déjà un bonheur, un bonheur tel que le fond de ce qu’il dirait sur tout ce qui précède serait une option. Mais de toutes les façons, ce débat ne se fera pas, on le sait.
Réveil général, il n’y aura pas de tels débats, cessons de rêver et revenons à nos réalités soit taiseuses soit plus ou moins irrespectueuses. Et pour savoir des choses et obtenir des réponses, attendons le Grand Déballage électoral, c’est dans plus si longtemps…
Aziz Boucetta