(Billet 1144) – Cyberattaque CNSS/ministère de l’Emploi : quelques réflexions…

(Billet 1144) – Cyberattaque CNSS/ministère de l’Emploi : quelques réflexions…

Et oui, pour ceux qui en doutaient encore, on peut être en guerre sans pour autant tirer un seul coup de feu ; attaquer ou s’en prendre à des institutions nationales comme la CNSS ou le ministère de l’Emploi, est plus qu’un acte malveillant, c’est de fait un acte de guerre, car cela pouvait être pire, bien pire. Ce 9 avril (et après…), le Maroc était sens dessus dessous, avec des attaques de hackers, des révélations, des indiscrétions, des énervements, des doutes et des suspicions. Dans l’attente d’y voir plus clair, quelques remarques liminaires.

1/ Qui ? On dit que ce sont les voisins de droite… que les Algériens attaquent, ce n’est ni une nouveauté ni une surprise. La mauvaise nouvelle est que le Maroc a montré ses failles et ses défaillances dans la protection de ses institutions, de ses confidentialités. Nous pensions être prémunis contre cela, mais il semblerait que non. C’est une faute, il faut le dire. Pourquoi ? Car de la même manière qu’on ne peut sauter d’un avion sans parachute ou faire de l’alpinisme sans corde, on ne peut ni ne doit prétendre à l’émergence géopolitique sans sécurité informatique robuste et puissante. Engager le fer et jouer des coudes pour se faire une place sur l’échiquier continental et mondial implique de se faire des ennemis, et les ennemis attaquent ; il fallait s’y attendre. Que s’est-il passé ?

Sont-ce bien les Algériens ? Il semblerait que oui, on nous dit que oui… alors va pour oui (et dans ce cas, nos amis Français devraient se méfier !). Il reste néanmoins ce sentiment diffus qui rappelle quelque peu l’affaire du « boycott » de 2018, une attaque qui nous est venue dans et par le net, qui a mobilisé l’opinion publique, dont on avait dit qu’elle venait d’Egypte, d’Inde, d’ailleurs ou de n’importe où, et on nous avait promis de faire la lumière, toute la lumière, rien que la lumière. On attend toujours…

Dans tous les cas, il serait intéressant de voir la justice, qui s’intéresse de près à ce qui se dit et s’écrit sur le net, se pencher aussi sur ces questions et ouvrir quelque enquête.

2/ Les concernés. Personne ne sait ou personne ne veut parler. La CNDP dit qu’elle ne sait rien encore pour pouvoir parler, le ministre Baitas souligne la concomitance entre l’attaque et la confirmation de la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara et en profite pour se féliciter longuement pour cela, la DGSSI (Direction générale de sécurité des systèmes d’information) relevant de la Grande Muette demeure muette ; quant à la CNSS, d’où vient le problème, elle publie un communiqué pour assurer qu’elle fait le nécessaire, sans oublier de gentiment menacer toute personne qui partagerait les fichiers. Avant la menace, légitime, il eût aussi fallu présenter des excuses, quand même…

Oh certes, comme on dit en informatique, « aujourd’hui vous êtes en sécurité, et l’instant d’après, vous ne le serez plus » ; la CNSS, à l’instar d’autres grands organismes, ne peut assurer une sécurité parfaite et  totale, mais elle est tout même un peu responsable, un peu… d’où des excuses.

Mais insister sur les fausses informations ou les données tronquées n’est pas une bonne stratégie de communication, pas plus que menacer de potentielles victimes de poursuites judiciaires, quand on est responsable.

3/ Le civisme et ses limites. Le public marocain, au départ sidéré, a globalement refusé de partager les fichiers, rappelant en cela ce large mouvement de civisme, d’empathie et de solidarité constaté lors de la crise Covid. L’éthique et le civisme, qu’on a constaté et qu’on observe encore sur les réseaux… Mais face à certaines révélations, les choses et les documents ont circulé. Moralité ? L’éthique sociale est la règle et résiste jusqu’à l’apparition des outrances cachées.

Cette affaire survient à un moment difficile, où l’inflation des prix des denrées alimentaires galope, où opposition et majorité se déchirent pour faire éclater (ou non) la vérité sur certains prix, où le moral est en berne et l’inquiétude sourd…

4/ Où sont nos ingénieurs ? On sait qu’en matière de sécurité, le Maroc s’est hissé au rang des Grands, car les choses sont faites sérieusement, par des professionnels sérieux. Mais la sécurité informatique est aussi une priorité. Sommes-nous véritablement armés pour affronter les menaces cyber? Nous avons de bons informaticiens, d’encore meilleurs programmeurs et codeurs, les écoles 1337 fleurissent ici et là dans le royaume… Où sont-ils, nos ingénieurs, nos geeks ? Nous perdons régulièrement entre 500 et 1.000 ingénieurs par an, formés ici et allant performer ailleurs… Nous avons des milliers d’ingénieurs informaticiens, aussi vertueux que talentueux, qui exercent en Europe, en Amérique, dans le Golfe ou en Extrême-Orient… Cela nous ramène à la politique publique sur les MRE, réclamée avec insistance par le roi Mohammed VI et toujours ignorée par le gouvernement.

5/ La question de la confiance. Il faut régler cette affaire, et vite, très vite ! En effet, au moment où on parle de tiers de confiance pour la sécurisation des services numériques, des télépaiements, de la surveillance par reconnaissance faciale… cette attaque survient, alors même que la CNDP réclame un débat public sur cette surveillance et que la question de confiance se pose.

Il appartient à la CNDP de faire la lumière sur l’intrusion dans les systèmes de la CNSS et du ministère de l’Emploi et d’apporter le plus d’explications possibles (il restera toujours une partie confidentielle) pour ne pas laisser la confiance s’envoler, de communiquer en temps et en heure, et de ne pas réserver à cette affaire le sort de celui de la télésurveillance de TLS, pour lequel la vérité était promise, avant qu’elle ne soit omise.

6/ Qu’en tirer comme conclusions ? « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise » dit-on et, comme chez les Chinois, une crise est certes un danger mais aussi une opportunité. A quoi pourrait donc nous servir cette crise, parce que c’en est une ? Mieux comprendre que toute velléité d’émerger dans ce monde équivaut à une recrudescence des menaces, même venant de parties amies, mieux considérer la menace cybernétique en mettant les moyens financiers et humains nécessaires, mieux mobiliser nos jeunes et nos talents ici et à l’étranger, en retenant ceux d’ici et, possiblement, en ramenant ceux de là-bas… et, dans la foulée, peut-être mieux calculer les salaires, essentiellement les hauts.

Si elle s’était produite ailleurs, cette affaire de l’attaque cybernétique de la CNSS et du ministère de l’Emploi aurait créé bien plus de remous que ce qu’elle n’a engendré au Maroc. La société est apaisée et sereine, mais il ne faut pas trop tirer sur la corde ou pousser le bouchon, comme on voudra…

Aziz Boucetta



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