(Billet 1216) – Le discours royal au parlement, rentrée politique ou sortie de crise ?

La rentrée, dites-vous ? Mais elle résonne très fort depuis un mois, très exactement depuis la sortie du chef du gouvernement, le 10 septembre dernier, et puis surtout avec le mouvement social qui rythme le quotidien des Marocains depuis deux semaines. Mais, pour autant, si on respecte la constitution et les institutions qui vont avec, la rentrée politique est aussi parlementaire, et c’est le roi qui en donne le signal par son discours devant le parlement.
Depuis quelques jours, et même depuis le début du mouvement GenZ, les observateurs et autres analystes attendent le discours royal au parlement, et en attendent des signes de sortie de crise ou des décisions pour sortir de crise. C’est mal connaître le Maroc. Certains ont même vite fait de comparer ce discours à venir à celui du 9 mars 2011 qui, lui, était un discours dédié, un discours ad hoc de réponse au mouvement du 20 février, et qui était intervenu trois semaines après les premières manifestations. Le discours d’ouverture du parlement est d’une autre nature, il est tout simplement ordinaire, rituel, programmé, encadré par la constitution.
On le sait, le roi Mohammed VI a une saison de discours qui commence le 30 juillet pour s’achever le 6 novembre de chaque année ; les autres périodes de l’année, quand le souverain prend une décision ou décide d’une orientation, il le fait savoir par message lu ou par communiqué. En 2023, il a été décidé de supprimer le discours traditionnel du 20 août, ce qui laisse trois discours officiels dans l’année. Mais celui de l’ouverture du parlement est particulier en cela qu’il est prévu par la constitution en son article 65, et qu’il donne toute sa solennité au travail législatif, qui est supposé en avoir... Et, traditionnellement, le chef de l’Etat apporte ses indications, ses orientations voire, souvent, ses rudes remontrances aux politiques assis face à lui, ministres et leur chef, élus parlementaires et leurs deux présidents. Personne ne connaît ni ne peut prévoir ou prédire le contenu du discours de cette année, s’il ira dans le sens d’une réaction à l’actualité, ou non ; mais, instruits par la manière de faire du roi Mohammed VI, il est plus que possible qu’il se contente d’indications, que la classe politique s’empressera de suivre. Faire une réponse circonstanciée, argumentée, engageant un dialogue avec les jeunes ne devrait donc pas faire l’objet de ce discours, du moins selon la logique générale de la monarchie et particulière du roi Mohammed VI.
Il est même fort probable, sans certitude aucune néanmoins, mais fort probable, que ce discours revienne sur la situation de ce Maroc a deux vitesses dénoncé par le souverain le 29 juillet dernier, ce Maroc a deux vitesses à l’origine précisément de la colère des jeunes (et des moins jeunes). Il est possible qu’après avoir dénoncé les deux vitesses du pays, le roi parle des deux dimensions dans lesquelles vivent le gouvernement d’un côté, la population de l’autre.
Il ne semble donc pas qu’il faille avoir une attente de réponse franche et massive dans ce discours au mouvement des GenZ. C’est là la spécificité du Maroc, dans lequel le temps politique est différent d’ailleurs, où la vie institutionnelle est rythmée par les élections cycliques. Dans le royaume, les institutions sont également inscrites au rythme des élections, mais pas le roi qui agit, lui, avec un temps de réaction ou de décision particulier, ce qu’on appelle le temps royal, non limité par les contraintes d’un mandat.
Dans cette conjoncture socio-politique que connaît le royaume aujourd’hui, les jeunes et une partie de la population protestent contre leurs conditions de vie, contre la cherté de la vie, contre une éduction nationale souffreteuse et un hôpital public désastreux, contre une gouvernance non seulement improbable mais aussi coupable… Dans son document revendicatif de 11 pages, les GenZ, en toute responsabilité, dressent dans un style apaisé un panorama terrible de la situation du pays, fondé sur la constitution, le Nouveau modèle de développement et les avis et constats des organes de gouvernance, et tout cela relève de l’organe exécutif, ce qui explique la réaction d’abord tétanisée des gouvernement et parlement, avant de changer à 180° pour adopter une attitude d’explication, de communication, parfois d’auto-flagellation, le tout dans la précipitation.
Mais, en cas de blocage, le roi a toutefois habitué les Marocains à répondre à leurs demandes, d’une manière ou d’une autre, chaque manière différant de la précédente. Il faudra donc guetter, une fois ce discours institutionnel passé, les actes et décisions du souverain. On se rappelle comment fut sa réaction, en plusieurs temps, aux événements du Rif, puis comment il avait apporté le correctif nécessaire à la question des subventions des prix des viandes, confiant ce dossier au ministre de l’Intérieur…
La jeunesse Z marocaine a, par essence, du temps devant elle, tout son temps, et le roi agit et réagit dans son temps royal. La sagesse voudrait, pour éviter une déception demain, de donner le temps au temps, sans en perdre.
Aziz Boucetta