(Billet 1224) – Les partis politiques peuvent encore ressusciter

(Billet 1224) – Les partis politiques peuvent encore ressusciter

Ils étaient plus de 35 et nous n’en voyions que peu, aurait dit Jacques Brel s’il était toujours parmi nous… Mais entendons-nous bien, les partis politiques au Maroc, leur effectif et leur diversité, un peu trop diversifiée d’ailleurs, sont un des marqueurs de cette spécificité marocaine dont tout le monde parle. Nos partis détiennent des records, en longévité, en ancienneté et aussi en originalité. Aujourd’hui, ils sont bousculés, malmenés, dans le doute. Mais comme dans le foot, tout n’est pas perdu s’ils font entrer les bons éléments.

En termes de records, nous avons en effet ce qu’il faut : l’Istiqlal est l’un des plus vieux partis au monde, le MP doit détenir le record du secrétaire général qui est resté le plus longtemps en fonction (36 ans), le PAM est une formation qui a triomphalement remporté le trophée du parti devenu le premier aux élections municipales, un an après sa création, le RNI est probablement le seul parti au monde à avoir largement remporté une élection sans idéologie clairement identifiée et les gens n’y ont vu que du bleu…

Et enfin, dernière prouesse en date de nos partis politiques, survivre au 20ème siècle dans le très tumultueux 21ème siècle. Les partis au Maroc continuent de développer un discours qui aurait fait les grandes heures de notre passé récent et stressant, et ils ne semblent pas avoir compris que la démographie du pays a changé, que les jeunes Y tiennent aujourd’hui les manettes de l’économie et sont acteurs sociaux et associatifs et que les jeunes Z s’invitent aussi désormais dans la danse. En attendant les Alpha.

En face, que font-ils ? Le PAM en fait des tonnes avec la com, plaçant même trois jeunes au lieu d’un(e) seul(e) à sa tête, l’USFP reste sous la coupe des éléphants du parti, le RNI coule et sa colombe n’a plus le cœur à roucouler, le MP essaie de se réinventer en évitant de faire son inventaire… Seuls le PPS, l’Istiqlal et le PJD déroulent encore un discours audible et, si on pousse un peu, crédible.

Pourquoi donc ces partis qui essaient de se mettre à l’air du temps ne sont-ils plus si audibles et encore moins crédibles ? Parce que, soumis à forte pression sous Hassan II et son ministre Driss Basri, ils ont pris l’habitude de recevoir des instructions ou, à défaut, d’en réclamer. Et puis il faut reconnaître que l’arrivée de Driss Jettou à la Primature avait créé un traumatisme au sein de notre classe politique. On peut donc dire que si le problème de ce pays vient en grande partie des formations politiques, ces dernières ont elles-mêmes connu des problèmes, des freins, des entraves.

Mais depuis 2011, les choses auraient dû changer. La constitution adoptée cette année-là est très avant-gardiste sur le papier, et elle aurait pu le devenir aussi sur le terrain si les partis politiques avaient eu des chefs qui savent y faire et qui aient eu le courage et l’audace de faire. Avec Abdelilah Benkirane, le Maroc avait bâti un système qui ressemble à une démocratie représentative, avec une opposition et une majorité qui se confrontaient et au besoin s’affrontaient (en foire d’empoigne, mais ça, c’était dépassable).

Nous étions alors dans la normalité car le choix éminemment stratégique du multipartisme, décidé à l’indépendance et reconfirmé 50 ans après, est désormais inscrit dans nos gênes. C’est pour cela que les citoyens, ayant entretemps (re)perdu confiance dans les partis, ont tourné le dos à l’opération électorale. Les choses ont en effet commencé à dévier en 2016/17, avec le fameux blocage qui avait duré ce qu’on sait et fini comme on sait. Depuis cette date, le RNI, sans être formellement à la présidence du gouvernement, le dirige effectivement. Et c’est le cas encore, concrètement et institutionnellement, depuis 2021.

Le résultat, on le connaît aujourd’hui… le roi appelle les partis à ne plus se dissimuler derrière lui, exhorte les politiques à faire leur travail ou à s’en aller, leur demande de réfléchir et d’élaborer un modèle de développement et, ne voyant rien venir, nomme une commission qui s’en occupe, et depuis cinq ans, le souverain hèle et interpelle les gouvernements sur la question des jeunes, de la famille, des femmes.

Et les choses ne s’arrangent pas, elles ne s’arrangent jamais. La majorité actuelle est artificiellement soudée, mais soudée quand même, malgré les turpitudes recensées (lutte molle contre la corruption, technocratie triomphante, silence médiatique, arrogance insoutenable de certains…), et l’opposition, dispersée, cassée, offensée, stressée, attend les prochaines élections pour essayer d’améliorer sa situation.

Les dernières décisions prises en conseil des ministres sont un coup dur pour les partis, qui tentaient bon an mal an de survivre dans un environnement social qui leur est de plus en plus hostile. Désormais, on pourra faire sans eux, mais ce n’est pas la solution ; ce serait même s’enfoncer dans la crise. En effet, rien de bien en démocratie ne peut se faire sans partis, mais des partis forts, ingénieux, pertinents, audacieux, qui acceptent de dire oui mais qui savent dire non. Il y a des manières de dire non, et nos responsables politiques sont talentueux dans l’art du Verbe.

Le Maroc a besoin de partis politiques forts, les citoyens le sentent mais, de guerre lasse, leur tournent le dos. Et il est trop tard pour créer d’autres formations d’ici l’été prochain, sans risque de prêter le flanc aux mêmes critiques qu’aujourd’hui… Il appartient aux chefs des partis actuels de se montrer à la hauteur des enjeux qui nous attendent tous, au risque de nous plonger tous dans un marasme encore plus profond que celui que nous connaissons.

Aziz Boucetta



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