(Billet 1165) - Avant d'être citoyen, il faut être civique... les Marocains le sont-ils ?

(Billet 1165) - Avant d'être citoyen, il faut être civique... les Marocains le sont-ils ?

Il semblerait que non, ou que le civisme ambiant soit perfectible, pour rester correct… Comme toutes les grandes et anciennes nations, le Maroc possède ses traditions solidement ancrées, si profondément que les comportements des gens se fondent beaucoup sur les habitudes, les coutumes, et bien sûr la tradition religieuse ; mais à l’inverse de grandes et anciennes nations comme le Japon, par exemple, les Marocains font généralement peu de cas des lois, et encore moins de civisme, s’ils n’y sont pas contraints ou s’ils n’y voient pas un intérêt quelconque et généralement immédiat…

Qu’est-ce que le civisme ? Dérivé du latin civis, il désigne la faculté d’être citoyen. La notion de citoyenneté nous vient du grand âge grec et romain, puis elle a traversé les siècles et parcouru les continents, en épousant les contours des sociétés où la question se pose, puis en évoluant avec eux. De toutes les nombreuses définitions apportées ici et là, celle du Québec paraît la plus pertinente et la plus complète : « Les devoirs des citoyens les uns envers les autres ne se limitent pas à des obligations juridiques. Ils reposent également sur une dimension morale : il s’agit de faire preuve de civisme et de civilité pour rendre supportable la vie en société. La politesse, le respect, la capacité à venir en aide à une personne en difficulté sont des éléments capitaux pour une citoyenneté vécue au quotidien ». Le civisme est donc une somme d’obligations juridiques certes, mais aussi de gestes et comportements au quotidien ; le civisme, c’est vivre au sein d’une communauté en en respectant les règles écrites et non écrites. Et partant de cette définition, les Marocains ne sont pas très civiques, certains observant les lois dans leur lettre et non dans leur esprit, certains autres ne les respectant même pas, et une troisième catégorie foulant aux pieds les actes les plus anodins du savoir-vivre ou du vivre ensemble.

Le Centre marocain pour la citoyenneté vient de publier un sondage sur le civisme des Marocains. Oui, bon, de l’aveu même du CMC, l’enquête ne répond pas à tous les critères d’objectivité ou de sélectivité communément admis, mais elle a le mérite d’être là, et ce qu’elle nous apprend sur nous-mêmes – pas grand-chose d’ailleurs – est décoiffant. Menée par voie électronique auprès de près de 1.200 personnes venant des 12 régions du royaume (avec 76% d’hommes, 60% de moins de 40 ans, 84% de diplômés du supérieur, et près de la moitié habitant les régions de Casa et Rabat), l’enquête confirme ce qu’un simple observateur a déjà relevé dans le quotidien de nos villes et nos campagnes, à savoir que le civisme en nos contrées reste très perfectible.

Ainsi, l’enquête nous enseigne que seuls 12% des Marocains se comportent convenablement avec leur entourage, famille, personnes vulnérables, voisins, … Le harcèlement des femmes dans l’espace public, l’usage d’un langage ordurier, le manque de respect des voisins sont encore des comportements très largement en vogue au sein de notre société, en dépit de la loi et de la foi.

Sur le plan environnemental, c’est la Bérézina sociale. Seuls 4% des citoyens respectent l’environnement et la nature, et seulement 6% prennent soin des espaces verts, un tout petit plus que ceux qui ont de l’intérêt pour la préservation des équipements publics. C’est peu glorieux, et même si le sondage n’est pas très précis, les résultats ne souffrent aucune ambiguïté !

Pour ce qui est du comportement à l’égard d’autrui, ils sont entre 4 et 7,5% des répondants à considérer que leurs prochains font preuve de civisme. Ponctualité, respect du code de la route ou nuisances sonores dans l’espace public (vous savez, les gens qui hurlent au téléphone dans un train ou dans une file…). Ah, ils sont quand même 24% à estimer que les Marocains se vêtissent correctement une fois en dehors de chez eux. 24%... et encore, on ne définit pas ce que signifie « se vêtir correctement ».

Et d’autres résultats, plus affligeants les uns que les autres… 83% pensent que l’arnaque commerciale est un sport national, et autant regrettent l’enlaidissement de l’espace public (linge aux fenêtres, …), et 93% jugent que l’occupation du domaine public est un autre sport national, de même que la mendicité et l’exploitation des enfants.

Mais si un petit 2% des personnes sondées considèrent que le gouvernement agit résolument dans le sens du développement de l’esprit civique dans la cité, ils sont 50% à voir une amélioration dans le comportement des gens à l’égard de leurs semblables et de la nature. C’est encourageant, mais à cette allure, on y sera encore dans quelques décennies...

Et hors sondage, que dire de l'adhésion des gens au paiement de l'impôt, ce marqueur fondamental de civisme et aussi de citoyenneté ? Le fisc répondra...

 

Le gouvernement peut continuer à égrainer ses chiffres et à promener sa solide autosatisfaction sur à peu près tout, on ne peut sérieusement soutenir que son action sociétale ou civique soit prioritaire, ou même simplement visible, dans son agenda de travail, comme pour les Marocains du monde, l’emploi, la corruption, la communication, la protection des personnes en précarité ou en vulnérabilité, etc… Or, tout cela coûte de l’argent certes, mais au vu du nouveau positionnement touristique du royaume et eu égard aux grands événements qui se préparent sur notre sol, cela sera encore plus coûteux en termes d’image. Donc d’argent.

« Pour que la loi soit respectée, il faut que l’État respecte aussi ses engagements », explique l’anthropologue Yasmina Chami, qui ajoute que « le citoyen doit respecter les règles de vie en société, les lois et les règlements. (…) Mais malheureusement, les comportements inciviques connaissent une extension alarmante. Ces comportements touchent toutes les classes sociales et font du tort à notre pays et à son développement. Les touristes et investisseurs sont choqués par le non-respect du Code de la route et cela doit changer impérativement ». Mme Chami disait cela en… 2015, voici 10 ans.

Or, il y a une cheminement connu, passer de la civilité au civisme, puis du civisme à la citoyenneté, et c’est avec la citoyenneté qu’on bâtit une démocratie, qui ne serait pas comme la nôtre, en éternelle transition. Et une nation démocratique, peuplée donc de citoyens, est une nation qui se développe. Et qui peut ainsi, entre autres grandes choses, recevoir le monde et le Mondial sans se couvrir de ridicule, et aussi clamer notre émergence en étant crédible !

Aziz Boucetta



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