(Billet 1148) – TLScontact s’améliore, mais la logique du visa demeure…

(Billet 1148) – TLScontact s’améliore, mais la logique du visa demeure…

La société TLScontact change d’adresse à Casablanca ; elle vient d’inaugurer ses nouveaux locaux dans la capitale économique du très serein royaume. Suite aux nombreux travers passés de sa gestion des demandes de visas pour la France et la Belgique, TLS a changé ses procédures, dans le sens de la modernisation et de la sécurisation. Et, de fait, les délais d’attente sont moins longs, l’accueil plus chaleureux et des nouveautés de service sont introduites (comme le service à domicile). C’est néanmoins son existence même qui continue de poser problème.

Selon les chiffres dévoilés par l’ambassadeur de France lors de la cérémonie d’inauguration, ce sont 1.100 visas qui sont délivrés (et non octroyés, comme on le dit souvent) chaque jour, ce qui fait environ 330.000 documents l’an. C’est bien, c’est important, c’est imposant… et c’est d’autant plus imposant que le Maroc arrive juste derrière la Chine en matière de visas pour la France. Cette information flatte notre ego et caresse notre orgueil, mais c’est tout ; chaque fois qu’un(e) Marocain(e) souhaite se rendre en France, il/elle doit produire tous ses documents personnels (qui sont bien plus détaillés que ceux réclamés aux Chinois), et attendre le bon vouloir d’un agent consulaire, TLS n’étant qu’un intermédiaire, qui s’acquitte certes de mieux en mieux de sa tâche, mais un simple intermédiaire quand même…

Ces documents, ces informations se retrouvent certainement quelque part d’autre que leur destination finale. Voici deux ans, la CNDP avait instruit un dossier sur des images de télésurveillance envoyées à « deux institutions gouvernementales à l’étranger », disait son communiqué de l’époque. L’affaire est toujours en cours et la Commission ne manquera certainement pas d’en publier les conclusions. On peut s’interroger sur la raison d’envoyer des images de télésurveillance à des « institutions étrangères » qui vont de toutes les manières recevoir toutes les données sur le demandeur de visa. La réponse à l’interrogation est simple : dans les dossiers, il n’y a pas les images, les attitudes, les comportements, seulement les données, d’où l’enregistrement des images et leur envoi à ces « institutions étrangères » !

Mais pourquoi redemander un visa à une personne qu’on sait assurée de revenir au pays ? Peut-être que ce sont précisément ce genre de profils qui intéressent les services étrangers concernés – ils se reconnaîtront – , toujours friands de ce type d’informations, bonnes donc à être actualisées. Peut-être aussi, pour reprendre le mot de l’ambassadeur de France, pour avoir « une mobilité maîtrisée », en plus d’être, bien évidemment, « transparente et respectueuse ». Ce n’est pas ainsi qu’on peut idéalement considérer un pays ami, une société proche, des entreprises partenaires, des universités et des centres de recherche ; entre deux nations, deux économies, deux sociétés qui se disent amies, la mobilité doit être ou ne pas être, mais en aucun cas, elle ne doit être organisée pour « être maîtrisée »… Avant la maîtrise, la considération, et la confiance.

Cela a déjà été dit mais mérite d’être rappelé… Si vraiment les chancelleries ne peuvent recevoir tous ces demandeurs, alors il faut alléger les procédures. Le Canada l’a bien fait voici un an environ en instaurant une AVE (autorisation de voyage électronique), conditionnant cette décision, cette facilité au fait d’avoir déjà obtenu un visa, et cette procédure est appliquée aussi bien aux Marocains qu’aux Européens, dont les Français. Pourquoi la France n’emboîterait-elle donc pas le pas à l’ancienne « Nouvelle France » ? Des industriels prospères, des universitaires talentueux, des personnes aisées, des professionnels habitués à faire la navette régulièrement entre les deux pays… tous ces gens doivent-ils, tous les ans, deux, trois ou quatre ans, redonner leurs informations personnelles et resubir le parcours d’un demandeur de visa inconnu ?

Si c’est vraiment pour « maîtriser la mobilité », pourquoi exiger un visa de personnes qu’on est pourtant sûrs de voir revenir au Maroc, parce que c’est chez eux, parce qu’ils y vivent mieux, parce que le climat social et la réalité économique sont délétères en Europe ? La raison est certainement ailleurs... Et quand on parle de « maîtriser la mobilité », sachant que le profil des migrants marocains en Europe et ailleurs gagne en qualité, les concernés étant plus instruits et mieux formés, c’est clairement pour endiguer les flux de migrations clandestines qui, eux, sont globalement en décrue ; or, puisque le Maroc s’est montré disposé à la coopération avec la France sur la question – vitale et fondamentale – des OQTF, les clandestins marocains pourraient éventuellement être renvoyés dans le royaume. Pourquoi alors maintenir une réglementation aussi stricte pour le demi-million de Marocain(e)s désireux d’aller dans l’Hexagone (330.000 qui obtiennent leur visa et tous ceux qui demandent des visas d’autres Etats Schengen, ceux qui se voient opposer un refus pour leur visa, et ceux qui y renoncent) ?

Par ailleurs, et comme aussi déjà dit, il appartient à notre gouvernement d’exiger plus de facilités des Etats européens ou d’appliquer une réciprocité, même à l’arrivée, dans les ports et les aéroports, de ressortissants européens. Et si des entreprises privées comme TLS doivent absolument et contrairement à toute logique, ou éthique, continuer d’exercer leur activité au Maroc, alors que le gouvernement marocain désigne lui-même une entreprise privée, ou constitue un service public pour recueillir toutes ces données demandées.

Un Etat qui respecte ses citoyens doit légitimement refuser de les voir contraints par un autre Etat d’aller donner leurs informations les plus confidentielles à une entreprise privée. C’est aussi simple que cela. Et un Etat qui dit avoir du respect et de la considération pour un autre doit mieux considérer les citoyens de ce dernier et mieux respecter leurs droits à la mobilité, sans qu’elle ne soit « maîtrisée ».

On peut donc attendre une initiative dans ce sens de l’Etat marocain et une action dans cette logique de l’Etat français, et de Bruxelles.

Aziz Boucetta



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