(Billet 1205) – le Maroc a besoin de médias forts, et l’ANME y travaille

L’Association nationale des médias et des éditeurs, ou ANME, a tenu ce jeudi 18 septembre son assemblée générale ordinaire et les choses s’y sont passé de manière… ordinaire. Vraiment ? Non. Une ambiance « extraordinaire » se dégageait de cette assemblée qui devait revenir sur les acquis, réalisations et manquements de la direction sortante, conduite par Driss Chahtane.
Les rapports moral et financier ont été approuvés et, armés de leur quitus décerné à l’unanimité des présents, le président et son bureau ont quitté la scène, dans les deux sens propre et figuré. L’heure était alors à l’élection d’une nouvelle équipe. Mais, surprise ou pas, plusieurs éditeurs ont pris la parole pour demander la reconduction de l’équipe sortante, selon le principe bien connu d’ « on ne change pas une équipe qui gagne ». Mais cette équipe a-t-elle vraiment gagné ? Explications.
Retour en arrière… nous sommes au printemps 2020, et le ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit publie le fameux communiqué ordonnant le confinement de la population, puis un autre dans la foulée suspendant la vente de journaux, et donc leur impression. Dans l’ambiance qui régnait alors – on s’en souvient –, cela sonnait comme la fin des journaux, magazines et autres périodiques. Pour les journaux en ligne, le désastre était moindre mais en l’absence de publicité, les sites d’information étaient condamnés à péricliter, puis à dépérir, ou à simplement périr. Plus tard que les journaux imprimés, mais périr quand même.
C’est là qu’est intervenue la première action de l’ANME, alors présidée par Abdelmounaïm Dilami, et l’Etat avait consenti à verser leurs salaires à l’ensemble des salariés des entreprises de presse « conformes », c’est-à-dire en situation administrative régulière (conditions juridiques remplies, dossiers déposés et dûment enregistrés près les tribunaux du royaume). En 2022, M. Dilami démissionne et est remplacé par Rachid Niny, qui reste quelques mois et cède son fauteuil à son vice-président Driss Chahtane, patron de ChoufTV, qui a dirigé l’association jusqu’à ce 18 septembre 2025, où il a été réélu président. Par acclamations, à l’unanimité.
Durant les trois dernières années, bien des choses ont été réalisées, le Bureau dirigeant de l’association ayant fait le siège du ministère de la Communication de Mehdi Bensaïd. Discussions intenses autour du projet de subvention publique au secteur des médias, implication dans la réorganisation du Conseil national de la presse (avec une période transitoire de deux années), structuration et facilitation du travail des journalistes sportifs, actions multiples et laborieuses en vue d’unifier les rangs de la profession…
Que de choses ont été dites, écrites sur cette association, sur son président et sur ce qui a été qualifié très abusivement de « situation rentière des médias ». Sans entrer dans le détail de ce qui reste l’ordinaire d’une association qui défend les intérêts de sa corporation, force est de constater que le secteur des médias est toujours en activité, soutenu par les pouvoirs publics, et qu’il est renforcé par la combinaison de l’action de l’ANME et de la prise de conscience du ministère quant à l’importance de disposer de médias forts. Les médias sont-ils forts ? Non, mais ils œuvrent à le devenir et à le rester.
En cinq années, le secteur des médias a été réorganisé, restructuré et a désormais de meilleures perspectives quant à son avenir et son devenir. Et donc, oui, l’équipe sortante a gagné et la réélection unanime et par acclamations du président Chahtane envoie un signal de force aux différents partenaires de l'association.
Mais, bien évidemment, l’esprit frondeur et critique de notre opinion publique a fait le reste, assurant le bruit, beaucoup de bruit, s’élevant contre ces subventions accordées sous forme de salaires, vitupérant contre « les journalistes rentiers » et donc, forcément, achetés, et admonestant le gouvernement pour œuvrer à « acheter » le silence des médias… Un simple tour d’horizon des titres et éditoriaux de presse indique que ces accusations sont fausses ; une partie de la presse soutient le gouvernement et défend son action, et une autre, plus importante, multiplie les assauts contre ce même gouvernement sur une multitude de sujets et de thèmes. Avec le ministère de la communication et celui du budget, les discussions sont souvent ardues, parfois crispées, mais les résultats sont là ! Et bien oui, le secteur de la presse, comme celui du tourisme ou encore celui de l’immobilier, bénéficie d’un soutien de l’Etat, d’une subvention publique et c’est bien ! Et savez-vous pour quelle raison, c’est bien ? Parce que les médias remplissent une mission de service public ou d’intérêt général.
Faisons un tour dans le monde pour prendre la mesure de l’injustice au Maroc de ces attaques contre un secteur qui, quoi qu’on en dise, est vital pour l’existence d’un pluralisme politique et l’expression des différentes tendances idéologiques dans le pays. L’écrasante majorité des Etats du monde subventionnent et soutiennent leurs médias, le plus souvent sous forme de subventions directes, en numéraire, ou indirectes, par crédits ou exonérations d’impôts, par aides à la distribution ; et si on introduit les médias publics, tous les Etats du monde subventionnent ; ce sont des milliards de dollars qui sont injectés dans un secteur d’activité ô combien important… et pourquoi donc, pourrions-nous ingénument demander ? La réponse est dans le modèle économique des médias, longtemps appuyé sur les deux rentrées que constituent le lectorat et la publicité, et qui est aujourd’hui dépassé, définitivement trépassé ; les réseaux sociaux ayant détourné le lectorat des journaux vers les réseaux et la publicité aussi. La situation semble inextricable, aucun pays n’ayant vraiment trouvé, et ne trouvera pas, de solution à cette intrusion numérique dans un secteur stratégique.
Dans notre démocratie un tantinet poussive, dans laquelle l’opinion se fait sur les réseaux et à coups d’influenceurs, disposer d’une presse pluraliste n’est pas un luxe, mais un besoin. Lors de la crise Covid, le Conseil économique, social et environnemental avait relevé une très forte augmentation du lectorat ; dans les moments difficiles, en effet, les gens savent devoir recourir aux médias qui apportent de l’information recoupée et vérifiée.
Il reste un point, important : la personne du président. Fondateur et directeur de Chouf TV, Driss Chahtane est le punching-ball préféré de notre public averti ; ce n’est plus de la critique, mais une forme de mépris excessif et d’aversion outrancière à peine teintées. Et pourtant... ChoufTV, ce sont 25 milliards de vues sur un an, et 23 millions d’abonnés sur Facebook, 16 millions de visiteurs uniques et 66 millions de vues par jour. La moitié de la population marocaine !… Si on n’aime pas ChoufTV, il existe donc deux solutions : ne pas y aller, ou changer le peuple ! A défaut, pourquoi ne pas se ranger à l’avis de tous ces éditeurs de presse qui ont reconduit à l’unanimité applaudissante Driss Chahtane à la tête de leur association ? Grâce à lui et à son bureau qui ont su convaincre Mehdi Bensaïd qui a lui-même convaincu son collègue ministre du Budget Fouzi Lekjaâ, le Maroc dispose encore d’une presse pluraliste, organisée, plus forte et de plus en plus soudée, nonobstant ls positions éditoriales des uns et des autres.
L’ANME est donc plus forte et, en dépit des critiques, malgré les attaques et les insultes, elle continuera d’œuvrer pour la sauvegarde voire le sauvetage des médias marocains.
Aziz Boucetta