(Billet 1234) - Quand ils ont négligé l'enrichissement illicite, je n'ai rien dit...
Les scandales se suivent, se ressemblent, et s’accélèrent au sein de cette majorité. Les bruits et les rumeurs autour de faits et parfois de méfaits de ministres emplissent la toile et nourrissent la colère de l’opinion publique. Pourquoi autant d’affaires ? Pourquoi de plus en plus rapprochées ? Pourquoi aussi indéfendables ? Comment ce gouvernement se maintient-il ? Devrions-nous être surpris ? Non, cela a commencé dès les premiers mois de la mandature actuelle, dirigée par le RNI d’Aziz Akhannouch. Nous avons laissé faire et « ils » ont fait.
Tout le monde connaît ce poème du pasteur allemand Martin Niemöller : « Ils sont d'abord venus chercher les socialistes, et je n'ai rien dit parce que je n'étais pas socialiste…Puis ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n'ai rien dit parce que je n'étais pas syndicaliste … Puis ils sont venus chercher les Juifs, et je n'ai rien dit parce que je n'étais pas juif. Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre ». En dehors du fait que Niemöller parlait des nazis et qu’il n’est aucunement question ici de faire l’amalgame, adaptons ce poème à notre réalité…
Quand le gouvernement Akhannouch a retiré la loi sur l’enrichissement illicite, je n’ai rien dit car je ne suis pas riche… quand il a évité de légiférer sur le conflit d’intérêt, je n’ai rien dit car je n’ai pas d’intérêts à défendre… quand le ministère de la Justice a empêché les associations d’ester en justice contre les responsables publics indélicats, je n’ai rien dit car je ne m’intéresse pas à la chose publique… quand le Conseil de la concurrence a épinglé les pétroliers (dont l’entreprise du chef du gouvernement) pour entente illicite, je n’ai rien dit car je pensais que ce n’était pas bien grave… et quand, aujourd’hui, j’ai besoin de prouver au monde que mon pays est sérieux, il n’y a plus de loi ou d’éthique publique pour le soutenir !
Nous en sommes là.
Pour la seule année 2025, le Maroc a été secoué par plusieurs affaires qui ont explosé dans les réseaux, puis se sont éteintes comme si de rien n’était ; les médias s’épuisent, les réseaux sociaux s’enlisent et les scandales passent dans la trappe de l’oubli. Cela a commencé en début d’année par le scandale des subventions à l’importation des viandes, qui s’est ensuite terminé en queue de poisson par une mission d’information, laquelle a fait pshiiit et, dans l’intervalle, les Marocains ont été priés de surseoir à fêter l’aïd al-adha avec le rituel habituel ; puis cela s’est poursuivi par une très opaque affaire immobilière familiale du ministre de la Justice, dans laquelle l’administration fiscale semble avoir été lésée… ensuite, des rumeurs insistantes, des bruits étouffés sur des opérations immobilières à Marrakech impliquant la maire de Marrakech qui a démenti… cette dernière semaine, le PJD a officiellement épinglé ce qu’il considère, avec éléments d’appui, être un conflit d’intérêt intergouvernemental, inter-RNI, dans le secteur de la santé…
Seuls les ministres du parti de l’Istiqlal ne prêtent le flanc à aucune accusation de malversation, ce qui laisse les deux autres partis de cette coalition à trois (quatre, si on compte les liens de plusieurs ministres avec l’entreprise familiale du chef du gouvernement) embourbés dans ces affaires dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont opaques, obscures, flirtant avec l’illégalité. Et cela, en 2025 seulement… d’où la référence à Martin Niemöller ; les choses ont en effet commencé dès le début de ce gouvernement, qui a montré non seulement son peu d’empressement à agir contre la corruption, mais a également enfreint les règles d’éthique gouvernementale les plus élémentaires.
En plus du retrait de la législation sur l’enrichissement illicite et de l’absence de réglementation sur le conflit d’intérêt, le gouvernement Akhannouch et Aziz Akhannouch lui-même ont très largement négligé toute action contre la corruption, et ont même réduit en 2025 le budget de cette instance. Le président – entretemps parti – de l’Instance de probité et de lutte contre la corruption avait en son temps rédigé courriers et rapports pour dénoncer cette situation ; las.. De son côté, Transparency Maroc s’est retiré de l’Instance en dénonciation de l’absence de « volonté politique des pouvoirs publics de lutter efficacement contre la corruption ».
Bref, en un mot comme en cent, ce gouvernement est l’un des plus décriés de l’histoire récente du Maroc en matière d’éthique et de corruption. Nous valons mieux. Que dénonce à longueur de journées l’opposition, et le PJD en particulier, preuves à l’appui ? La corruption. Que réclament les GenZ ? La reddition des comptes. Que ressent et perçoit l’opinion publique ? Un manque d’éthique et une moralisation qui démoralise. Que l’on en juge… Une trentaine de députés en prison, en jugement ou en sursis, des membres dirigeants des deux partis RNI et PAM en prison, des élus de l’Istiqlal en instance de jugement et de prison…
En face, des ambitions immenses. Un Maroc qui aspire à l’émergence économique et à la reconnaissance mondiale… un Maroc qui œuvre à convaincre de sa bonne foi et de son sérieux à l’ONU… un Maroc qui cherche à attirer les gros investisseurs et leurs non moins gros pactoles… un Maroc qui s’apprête à recevoir l’Afrique du football et qui se prépare à organiser en 2030 la plus grande compétition sportive mondiale … Un Maroc qui veut vaincre et convaincre.
Il n’est pas fortuit que l’Etat ait lancé une opération d’assainissement qui n’en dit pas le nom, et ce n’est pas un hasard si le ministère de l’Intérieur a singulièrement durci les conditions de candidatures aux prochaines législatives, barrant la route du parlement aux potentiels ripoux et l’ouvrant large à des jeunes, avec ou sans affiliation politique. L’Etat a compris que son laxisme à l’égard d’une classe politique douteuse porte préjudice à l’ensemble du pays ; il est important que les partis le comprennent aussi.
Et il est encore plus important que les électeurs saisissent à leur tour l’importance de l’opération du vote et l’application dans le choix des profils des candidats. Le Maroc des grands enjeux, de l’homérique bataille diplomatique en cours, du Mondial 2030, de la transition digitale et énergétique, de la bascule puis du pic démographiques… ce Maroc-là ne pourra voir le jour avec des élus et une classe politique douteuses.
Le Maroc a un grand roi, il mériterait aussi d’avoir un grand chef de gouvernement et une grande classe politique..
Aziz Boucetta