(Billet 1207) – Mesdames et Messieurs les ministres, parlez ou partez !

D’ordinaire et en règle générale, dans le monde civilisé, un membre du gouvernement, et a fortiori son chef, n’arrive à cette fonction qu’après un long parcours du combattant. Ce combattant combat, donc, toute une vie, défend des idées, tient des positions, affronte des adversaires, convainc ses partisans, joue des coudes avec ses pairs… bref, il combat. Et à l’issue de cette très intense activité, si son parti remporte les élections ou intègre une coalition, cette personne accède au gouvernement. Le cas est semble-t-il rare au Maroc, où les ministres sont souvent là par la grâce du baksahbisme triomphant.
Au Maroc, nous avons deux types de gouvernement, ou deux catégories de ministres dans un gouvernement. Les ministres régaliens, dits aussi de souveraineté, gérant et dirigeant des départements de souveraineté (armée et affaires religieuses, intérieur et extérieur, justice et secrétariat du gouvernement*) ; ils ne sont jamais membres d’un parti et on ne leur connaît pas d’idéologie particulière en dehors de celle de s’acquitter de leurs tâches. Ils survivent aux élections tout autant qu’ils peuvent partir, limogés, à tout moment ; ils relèvent directement du roi, mais siègent en conseil de gouvernement, répondent aux questions au parlement, essuient les critiques de la presse ou de la société, mais ne parlent pour ainsi dire jamais aux médias quoique, par moments, ils devraient...
Et puis il y a les autres ministres, ceux qui relèvent d’une logique électorale, sont issus des élections, appartiennent à la majorité, politisés et rompus aux joutes politiques et aux débats enflammés. Ou du moins sont-ils supposés être tout cela…Ce type de ministres, les Marocains les connaissent depuis l’arrivée du roi Mohammed VI en 1999 ; mais depuis 2021, rien ne va plus.
Les régaliens régalent toujours autant, dans leur logique, leurs résultats et leur mutisme, et ils font le job. Les autres, eux, posent problème, un sérieux problème. Ils sont pusillanimes, faibles, craintifs… timorés. Leur credo est de durer sans faire de vagues, et en cas de gros temps, ils se dissimulent là où ils peuvent, courant aux abris et essayant de se faire oublier en attendant que le motif de la grogne soit oublié. Avec Abdelilah Benkirane, les ministres étaient globalement responsables et didactiques. Les choses ont commencé à devenir problématiques avec le gouvernement de Saadeddine Elotmani, bien que ce dernier n’ait jamais rechigné à s’exprimer, s’expliquer, voire s’excuser.
Et puis arrive le gouvernement actuel, le gouvernement du silence assourdissant, dirigé par Aziz Akhannouch. L’homme a incontestablement de grandes qualités humaines, auxquelles manquent cependant l’empathie et la communication. Et ces travers ont été transmis aux autres ministres. Aujourd’hui, le Maroc tangue socialement : les gens trouvent la vie trop chère, les ruraux rament et ruminent, les jeunes galèrent et fulminent, l’école publique rend l’âme, les hôpitaux ont fini de rendre la leur, l’industrie est sous licence et sous supervision de l’étranger, en dehors de quelques unités, l’habitat s’effondre, l’émigration devient la règle pour ceux qui peuvent et le rêve pour les autres, le tourisme aligne des chiffres qui se veulent bons mais qui ne tiendraient pas à la première (petite) crise… « Le Maroc à deux vitesses » stresse.
Le roi a tiré la sonnette d’alarme contre ce Maroc inégalitaire et inéquitable, la société critique à longueur de réseaux, les services préviennent, les institutions de gouvernance s’alarment… Mais le gouvernement se tait, dramatiquement, douloureusement, irresponsablement. Le chef du gouvernement a néanmoins consenti à faire une sortie dont on se demande bien la raison et la cause, tellement elle fut désastreuse, parfois pénible ; et depuis, rien, ou presque. A part peut-être une courte vidéo montrant Aziz Akhannouch parlant agriculture à « deux types du peuple » mais, par charité musulmane, passons…
Aucun ministre (ou presque) sur un plateau télé pour expliquer, aucun responsable gouvernemental (ou presque) n’accepte de rencontrer un contradicteur sur un plateau télé ou radio. Les membres du gouvernement préfèrent le confort de la MAP ou des agapes pompeusement appelées conférences/points de presse soigneusement organisées par leurs communicateurs, tout aussi terrifiés de voir leurs grands hommes ou leurs femmes buter sur une question dont ils ont pourtant la réponse. Les ministres RNI et PAM ne se donnent même pas la peine de répondre aux sollicitations des médias, et les ministres Istiqlal hésitent beaucoup, avant de ne rien dire, à l’exception peut-être de Ryad Mezzour et parfois, de plus en plus rarement d’ailleurs, de Nizar Baraka. Les autres chefs de partis au gouvernement sont médiatiquement portés disparus : Où est Aziz Akhannouch, en dehors d’une prestation réglée au cordeau ?
De quoi ont-ils peur, car ils ont peur ? Rêvent-ils donc tous se maintenir au gouvernement ? Pensent-ils sérieusement qu’ils ont été méritants ? Estiment-ils avoir rempli leurs missions ? Pourquoi le ministre de l’Education nationale ne vient-il pas à la télé publique expliquer aux citoyens en quoi et dans quoi son passage au gouvernement est un succès et en quoi il a fait mieux que son prédécesseur Chakib Benmoussa ? Le très fugace et encore plus furtif ministre de la Santé s’adresse-t-il encore à quelqu’un qui ne soit pas du RNI ou de la présidence du gouvernement, ou encore de son entreprise d’origine ? La ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Habitat, etc, et maire de Marrakech réside-t-elle avec nous au Maroc ? Pourquoi le ministre de la Communication ne communique-t-il plus ? Le ministre de l’Eau a-t-il pris l’eau, a-t-il été emporté par les eaux, pourtant rares ? Le ministre du Budget se sent-il toujours simple humain, n’est-il plus un simple mortel ? Et sa consœur, dite ministre des Finances, est-elle perdue dans (et par) les chiffres au point d’en perdre le verbe ? A quoi s’emploie le ministre des Compétences contrariées et de la Petite entreprise qui rend l’âme ? il faut reconnaître qu’il a fait son job sur la grève, mais il ne prend aucun risque inutile… Le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime ne s’en remet qu’à Dieu et à Lui seul…
A vous tous et toutes qui vous calfeutrez dans vos bureaux feutrés, parlez, expliquez, communiquez… ou partez ! Vous rendriez ainsi service à ce pays qui veut tant démarrer mais qui, par votre présence et peu d’aisance, reste amarré à des niveaux de développement qu’il ne mérite pas. Si c’est pour vous enfermer dans vos bureaux, vos secrétaires généraux font très bien le travail, quand bien évidemment on peut disposer de leurs numéros de téléphone, souvent classés secret-défense ! Savez-vous qu’en agissant ainsi, qu’en refusant d’endosser vos responsabilités face à celles et ceux qui ont élu les partis qui vous ont propulsés là où vous êtes, vous ruinez la confiance, vous créez la défiance, vous alimentez la méfiance ? Par ce type de comportement, vous incitez et encouragez les jeunes à partir, pour ne plus revenir !
Et tout cela devient dangereux ! On penserait même que tous ces ministres s’en remettent à leur collègue de l’Intérieur pour calmer les ardeurs et autres fureurs, mais tel n’est pas son rôle premier et ce serait faire injustice à la police que de lui confier la gestion du résultat des manquements du gouvernement, c’est-à-dire les manifestations qui fleurissent ici et là. Ici, c’est toute une bourgade qui marche résolument vers la préfecture la plus proche pour revendiquer, exiger, ses droits ; là, c’est un sit-in enragé dans le cloaque d’un hôpital de la bonne ville de notre très satisfait chef du gouvernement ; ailleurs, c’est tout un mouvement de protestations et de marches nationales qui a été annulé au dernier moment, grâce à la clairvoyance et à la conscience des jeunes qui ont lancé l’appel. Et, heureux paradoxe, dans une manifestation, les manifestants communiquent bien mieux avec les forces de l’ordre qu’avec les responsables gouvernementaux.
Le Maroc bout, de bout en bout, pour manque de moyens et face à un déficit, une déficience, une défaillance des responsables ; et tout cela, oui, devient dangereux, car avec le Népal aujourd’hui et le Chili hier, avec la Turquie de loin en loin et même les Etats-Unis et l’Europe de plus en plus, les peuples disent : « assez ! », finissant par « s’indigner », comme le leur conseillait le défunt Stéphane Hessel ; et la théorie des dominos n’est plus géographique ou idéologique, mais démographique et numérique. Les Marocains veulent des réponses mais les responsables du gouvernement sont tous aux abris. En effet, les élections approchent et tout le monde craint un faux-pas et multiplie les faux-semblants.
La politique se meurt, la politique est morte, l’espoir périt et la société dépérit, et le Maroc, ce sublime Maroc que nous chérissons tant mérite, vraiment, mieux. Quelqu’un peut-il encore réveiller nos ministres et autres responsables terrifiés de leur torpeur médiatique ?
Aziz Boucetta
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*Il existe des exceptions cependant, comme le ministère de la Justice depuis une quinzaine d’années, les Affaires étrangères durant les années 2010, et l’Intérieur une fois ou deux.